Strate des actifs : Objets de marché pour protocoles

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Ce chapitre est la traduction française de Asset Layer: The Market Objects of Protocols, rédigé par Louise Borreani et Pat Rawson et publié en octobre 2023 sur le Mirror d’Ecofrontiers, avec des critiques et des contributions perspicaces (sans ordre particulier) de Marcus Aurelius, Sebnem Rusitschka, Vincent Katchavenda, Jacques-André Fines Schlumberger, Louis Schwab, Scott Morris et Terex Price. Cette traduction française a été réalisée par Louise Borreani sur une initiative de Vincent Katchavenda.

Ecofrontiers est une initiative de recherche indépendante avec deux objectifs principaux : (1) améliorer les environnements de financement public et privé pour les actifs naturels Web3, et (2) améliorer l'efficacité des projets consacrés à des causes durables au sein de l'écosystème blockchain.

Dans ce blog, nous présentons un exemple de chapitre tiré du premier livre d’Ecofrontiers : Nouvelles frontières de l’écocapitalisme : architectures publiques pour la production de capital naturel. L’ouvrage établit une « colonne financière environnementale » pour « l'écocapitalisme 2.0 », un cadre englobant six strates matérielles et conceptuelles qui sont collectivement responsables de la production d'actifs de capital naturel. L’exemple de chapitre publié aujourd’hui détaille la strate des actifs en présentant ce que nous pensons être la première tentative de cartographie des crypto-actifs verts.

La publication de cet exemple de chapitre est également une invitation aux partenaires potentiels qui partagent un intérêt et un engagement envers le capital naturel. L'équipe recherche des collaborateur·ice·s pour :

  • L’examen et la relecture de notre travail, en anglais et en français

  • L’amplification de notre présence sociale et de notre voix en participant à la distribution de notre travail

  • L’extension de nos partenariats à de nouvelles entités afin d’augmenter notre légitimité

  • Nous aider à approcher et à acquérir des financements pour nos recherches, tels que des subventions, des parrainages ou des plateformes de financement

Votre implication peut faire considérablement avancer la mission visant à relier la finance environnementale traditionnelle au Web3. Les personnes intéressées à s’engager avec Ecofrontiers sont encouragées à cliquer ici (formulaire en anglais, mais nous acceptons les réponses en français) pour explorer des collaborations potentielles.

Une ébauche de la « colonne » d’Ecofrontiers pour la production d’actifs environnementaux. Chaque couche sera représentée par un chapitre dans notre livre ; aujourd'hui, nous publions le chapitre décrivant la strate « Actif » comme exemple de notre travail de recherche.
Une ébauche de la « colonne » d’Ecofrontiers pour la production d’actifs environnementaux. Chaque couche sera représentée par un chapitre dans notre livre ; aujourd'hui, nous publions le chapitre décrivant la strate « Actif » comme exemple de notre travail de recherche.

Introduction

« Grâce à une écologie de données intégrative, nos monnaies et toutes les liquidités mondiales peuvent être intrinsèquement liées par des capacités de charge biophysiques. »

 — Rawson (2020), Cryptospheric Ecotechnics

Les actifs sont l’oxygène des marchés, et comprendre les types de crypto-actifs « verts » qui existent et peuvent exister est l’objectif de ce chapitre. Un actif vert, par rapport à un actif financier classique, est compris comme un objet financier transférable qui génère un impact positif sur l'environnement tout en apportant un avantage économique à son·sa détenteur·ice. Selon notre métaphore de la « colonne », les crypto-actifs verts explorés dans ce chapitre sont émis par des crypto-institutions qui, dans l'espoir d'améliorer l'état écologique de la réalité matérielle sous-jacente, administrent des protocoles depuis la surface de gouvernance, qui finissent par contrôler la dynamique de l'offre et la distribution de ceux-ci grâce à des contrats techniques intelligents, des négociations juridico-institutionnelles, et des interventions socio-économiques. Une fois existants sur une blockchain publique, ces crypto-actifs sont échangés dans la strate de marché—libre—située au-dessus.

Ce chapitre commence par un aperçu des efforts et des taxonomies existantes pour classer les actifs verts. Ce faisant, il établit un terrain fertile pour ce que les auteur·ice·s considèrent comme une première tentative de cartographie cohérente des types de crypto-actifs verts actuels et possibles. Pour chaque type ou sous-type de crypto-actif identifié, une brève discussion sur la nature de l’actif et un aperçu de l’évolution continue de son secteur suivent.

Compte tenu de l’évolution rapide du Web3, la cartographie proposée par ce chapitre ne tente pas de formaliser une quelconque sorte de taxonomie stricte pour les crypto-actifs verts. Elle s’efforce plutôt de mettre en valeur les principes nouveaux et organiques qui sous-tendent leur conception, tels que leur potentiel intrinsèquement hybride, composable et synergique. Une fois expliqués, ces principes permettent aux parties prenantes des secteurs public et privé de voir avec un regard neuf la nature fluide de toutes les taxonomies d’actifs verts présentes et futures. En fin de compte, cette fluidité ouvre la voie à la réalisation de nouveaux cas d’utilisation qui servent l’humanité et leur planète au-delà des actifs verts existants. Le chapitre se clôture en esquissant trois exemples situés à la limite actuelle de l’écofrontière des actifs verts.

La Taxomania! des actifs verts

Aperçu mondial des juridictions qui ont développé ou sont en train de développer une taxonomie des actifs verts. Traduction de la légende : bleu clair = régulation ou guide déjà en place. Bleu foncé = régulation ou guidance en cours de rédaction, non finalisé. Vert = régulation ou guide en développement. Kaki = discussions en cours pour une possible taxonomie. Source : Infographie de Future of Sustainable Data Alliance, utilisée dans un cadre fair use.
Aperçu mondial des juridictions qui ont développé ou sont en train de développer une taxonomie des actifs verts. Traduction de la légende : bleu clair = régulation ou guide déjà en place. Bleu foncé = régulation ou guidance en cours de rédaction, non finalisé. Vert = régulation ou guide en développement. Kaki = discussions en cours pour une possible taxonomie. Source : Infographie de Future of Sustainable Data Alliance, utilisée dans un cadre fair use.

Chaque taxonomie des actifs verts[1] applique un « ensemble communément convenu de définitions vertes qui peuvent être utilisées par d’autres »[2] pour construire un consensus et une légitimité au sein des communautés politiques, scientifiques et financières internationales autour de la durabilité matérielle des activités et investissements environnementaux. La crise climatique, parmi d’autres crises en cours, engendre le besoin permanent et urgent de comprendre l’impact matériel sous-jacent des investissements, qu’il soit négatif ou positif, et d’orienter les ressources d’investissement et d’élaboration des politiques vers ce qui est véritablement vert, tout en détournant le soutien de ce qui ne l’est pas. De nombreux gouvernements développent des taxonomies vertes, et leur prolifération exponentielle est dénoncée par les critiques comme étant une taxomania—une surabondance de définitions et de terminologies évolutives provoquant une fragmentation du marché qui mine la croissance du secteur.[3]

Parmi les principaux acteur·ice·s figurent la Chine, dont le catalogue de projets verts récemment mis à jour s'aligne sur les normes internationales en excluant les combustibles fossiles et en se concentrant sur le triple objectif d'atténuer le changement climatique, d'améliorer l'économie circulaire et d'éliminer la pollution.[4] Dans l'UE, le développement en cours d’une taxonomie se concentre sur six objectifs environnementaux : l'atténuation du changement climatique, l'adaptation au changement climatique, l'utilisation durable et la protection de l'eau et des ressources marines, la transition vers une économie circulaire, la prévention et le contrôle de la pollution, ainsi que la protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes. Des critères taxonomiques supplémentaires pour la protection de l'eau, l'économie circulaire, la prévention de la pollution et la préservation de la biodiversité sont en cours d'élaboration par le biais de la plateforme européenne sur la finance durable.[5] De nombreux pays, comme la Russie, l’Afrique du Sud et la Corée du Sud, sont en train d’établir des projets de taxonomies qui s’alignent largement sur le travail de base de l’UE. D'autres pays comme le Japon, la Malaisie et la Mongolie ont introduit leurs propres taxonomies, mettant l'accent sur le changement climatique et l'utilisation durable des ressources. Quant au Bangladesh, Canada, Indonésie, Singapour et Royaume-Uni ; ils développent des taxonomies alignées sur les cadres internationaux de finance durable.[6]

Les principes directeurs de la taxonomie de l’UE. L’intégration des crypto-actifs verts dans la taxonomie de l’UE est nécessaire pour qu’elle soit complète, car ne pas prendre en compte ces crypto-actifs et leurs nouvelles propriétés viole le principe existant de neutralité technologique. Source : Traduction en français de l’EU Taxonomy Navigator de la Commission européenne, publié sous une licence CC BY 4.0 DEED.
Les principes directeurs de la taxonomie de l’UE. L’intégration des crypto-actifs verts dans la taxonomie de l’UE est nécessaire pour qu’elle soit complète, car ne pas prendre en compte ces crypto-actifs et leurs nouvelles propriétés viole le principe existant de neutralité technologique. Source : Traduction en français de l’EU Taxonomy Navigator de la Commission européenne, publié sous une licence CC BY 4.0 DEED.

Au-delà des États, le secteur privé développe des outils pour comprendre l’impact des portefeuilles d’investissement dans les actifs naturels. Ces outils exploitent leurs propres modèles et taxonomies pour identifier et évaluer les actifs naturels. Par exemple, l’un des outils les plus utilisés est le projet sur le capital naturel de l’Université de Stanford, InVEST, qui propose une collection open source d’outils logiciels gratuits qui évaluent et visent à quantifier la valeur des biens et services vitaux fournis par la nature. Essentiellement, cet ensemble d’outils identifie le coût des externalités négatives produites par les activités socio-économiques, aidant ainsi à identifier les opportunités d’intervention sur le marché. Cela aide les institutions publiques et privées à gérer les ressources naturelles tout en faisant face aux inévitables compromis qu'invoquent différentes pratiques de gestion environnementale.[7]

« InVEST permet aux décideurs d'évaluer les compromis quantifiés associés aux choix de gestion alternatifs et d'identifier les domaines dans lesquels l'investissement dans le capital naturel [souligné par les auteur·ice·s] peut améliorer le développement humain et la conservation […] InVEST renvoie des résultats en termes biophysiques (par exemple, des tonnes de carbone séquestrées) ou en termes économiques (par exemple, valeur actuelle nette du carbone séquestré). »[8]

Un autre exemple est le logiciel Exploring Natural Capital Opportunities, Risks and Exposure (ENCORE)—« un outil pour aider les utilisateurs à mieux comprendre et visualiser l'impact du changement environnemental sur l'économie. »[9] Dans la métaphore de « colonne » de cet ouvrage, il est possible d'appréhender ces types d’outils de l’industrie privée en tant que visualisations de strates de données qui séparent l’ensemble de la réalité matérielle sous-jacente en parties où les abstractions financières de l’écocapitalisme—telles que les actifs verts—sont conçues plus efficacement.

Néanmoins, toutes les taxonomies et outils verts actuels sont confrontés à des problèmes plus ou moins similaires. Selon les auteur·ice·s, la sur-académisation des taxonomies émises par l’État et la sur-institutionnalisation de leur processus de rédaction les ont rendues excessivement complexes, coûteuses sur le plan opérationnel et difficiles à adapter à des millions d’acteur·ice·s du changement environnemental—une condition nécessaire pour lutter contre les crises plurielles de la biosphère. En plus de ça, force est de constater que le Web3 jette un pavé dans la marre concernant l’ensemble des taxonomies existantes : de nouveaux types de crypto-actifs verts sont désormais possibles, et en parallèle, les actifs verts existants sont portés en masse sur les chaînes. Selon le Bank of America Institute, « la tokenisation des actifs traditionnels pourrait atteindre plus de 16 000 milliards de dollars, transformant les infrastructures et les marchés au cours des 5 à 15 prochaines années ».[10] L’entrée du Web3 dans la production d’actifs verts nécessite la mise à jour de cette myriade de taxonomies et met en évidence la nécessité de pratiques de construction de taxonomies plus flexibles.

Pour être exhaustives, toutes les taxonomies d’actifs qui progressent vers le vert ou autrement devraient reconnaître la pluralité de propriétés intrinsèques (par exemple l’offre ou le taux d’inflation) et d’utilités (par exemple la collatéralisation) offertes par les crypto-actifs programmables, qui sont :

  • Composables : un seul crypto-actif peut remplir plusieurs rôles dans différentes institutions et protocoles. Prenons par exemple la collatéralisation : la capacité institutionnelle à collatéraliser des actifs pour la production de monnaie a été historiquement limitée aux grandes institutions financières, généralement proches de l’État. Aujourd’hui, de nombreux crypto-actifs différents sont utilisés pour produire des stablecoins dotés de leur propre gouvernance institutionnelle. En poussant cet exemple un peu plus loin, la composabilité de Web3 peut produire de nouveaux systèmes cryptoéconomiques qui transcendent les produits financiers actuels. Imaginez : des actions symboliques dans un projet d'énergie renouvelable utilisées comme garantie afin de produire (en anglais : « mint ») un stablecoin échangé comme monnaie locale, présentant une nouvelle « monnaie verte » basée sur le financement de l'énergie propre. La fin de ce chapitre explorera trois esquisses de conceptions cryptoéconomiques qui illustrent davantage la composabilité cryptographique.

  • Adaptables ou évolutifs : les crypto-actifs peuvent changer de propriétés, d’utilités et donc de définitions réglementaires au fil du temps. Imaginez un crypto-actif de capital naturel dont l’offre s’ajuste automatiquement en fonction d’une condition matérielle sous-jacente. La fugacité potentielle de la crypto a déjà suscité une réponse juridique : la classification juridique d’Ethereum par les régulateur·ice·s américain·e·s en tant que marchandise ou titre a été reconnue comme ayant le potentiel de changer en fonction de l’évolution de sa distribution et de sa composition institutionnelle « suffisamment décentralisée ».[11] Certains tokens verts existants, tels que la Base Carbon Ton (BCT) du protocole Toucan, ont commencé comme des compensations de carbone centralisées produites par Verra, et ont depuis été transformés en compensations symboliques fongibles.[12]

  • Modulaires : dans le cas des crypto-actifs verts, la modularité fait référence au principe de conception selon lequel différents crypto-actifs peuvent être créés indépendamment et cumulativement pour représenter la réalité matérielle sous-jacente d'une zone de conservation ou de restauration désignée. Quelles que soient leurs catégories spécifiques de protection ou de restauration, les crypto-actifs modulaires peuvent être empilés territorialement de manière flexible, permettant une approche multiforme des initiatives environnementales et identifiant divers avantages écologiques. Grâce aux crypto-actifs verts modulaires, les efforts de conservation et de restauration peuvent être mieux personnalisés et ajustés en intégrant différents actifs pour atteindre des objectifs environnementaux spécifiques pour un seul territoire chevauchant.

En général, la programmabilité sans précédent offerte par le Web3 rend les actifs plus hybrides, plus diversifiés et d'une complexité globale plus élevée. Semblables aux logiciels issus de l’écocapitalisme 1.0 tels que InVEST et ENCORE, des outils Web3 permettant l'analyse et la notation des portefeuilles d'actifs verts sont en cours de développement pour démystifier cette complexité, comme la « plateforme de données et de notation des actifs environnementaux numériques » de Particula… [qui collecte] des données autour de 500 de manière standardisée » et les compare « sur la base de plus de 300 dimensions ».[13] En général, les crypto-actifs permettent au secteur privé de tester de nouvelles hypothèses économiques et vertes auparavant exclues de la sphère du possible, comme l’hypothèse du Silver Gun, qui propose la collatéralisation mondiale par les banques centrales d’actifs carbone pour produire une monnaie verte adossée au carbone.[14]

Une cartographie des crypto-actifs verts

Faisant suite au résumé des taxonomies vertes existantes, cette section cartographie les crypto-actifs verts. Le tableau ci-dessous offre un aperçu rapide de la cartographie, suivi de points généraux à retenir, et d'une discussion plus détaillée pour chaque type et sous-type d'actif. Le tableau présente les colonnes suivantes :

  • Type et sous-type : « Type » fait référence à la catégorisation globale à laquelle appartient un crypto-actif vert, définie par ses caractéristiques fondamentales communes ou un alignement réglementaire ou cadre unifié. À l'inverse, le  « sous-type » décrit d'autres subdivisions au sein d'un type principal, caractérisées par des distinctions nuancées en termes de fonctionnalité, d'utilité ou d'alignement avec des initiatives environnementales spécifiques. Il est crucial de noter que notre démarcation entre types et sous-types ne respecte pas des frontières strictement délimitées. Par exemple, divers sous-types de tokens de processus environnementaux pourraient potentiellement être regroupés en un seul type. Cependant, les initiatives distinctes et leurs impacts respectifs sur la réalité matérielle sous-jacente plaident en faveur d’une séparation et d’une discussion séquentielle de chaque sous-type, en reconnaissant leurs nuances spécifiques.

  • Dépendance juridique : ce paramètre indique la mesure dans laquelle l’actif en question peut fonctionner efficacement et conférer les avantages économiques ou environnementaux escomptés sans dépendre substantiellement des cadres juridiques formels, y compris la réglementation, l'arbitrage ou l'application généralement exercés par les autorités de l'État. Une faible dépendance juridique signifie que ces crypto-actifs verts peuvent apparemment fonctionner avec une relative autonomie, en utilisant des mécanismes intrinsèques, souvent automatisés, pour instaurer la transparence et la confiance, atténuant ainsi la nécessité pour une partie juridique ou réglementaire externe d'assurer la fonctionnalité et la réalisation des avantages escomptés. En bref, la dépendance juridique identifie la capacité inhérente de l'actif à s'autoréguler et à gérer d'éventuels litiges ou perturbations, tout en s'alignant sur des normes juridiques et éthiques plus larges.

  • Matérialité : degré selon lequel les caractéristiques intrinsèques et extrinsèques d'un actif sont interconnectées avec sa réalité tangible ; autrement dit le niveau d'abstraction de l’actif. Ce concept englobe non seulement les aspects physiques et mesurables de l’actif, mais relie également de manière complexe ses propriétés qualitatives et quantitatives au monde matériel. Par conséquent, le principe de matérialité examine dans quelle mesure les propriétés d’un actif—qu’il soit tangible ou intangible—sont ancrées, influencées par et ont une pertinence conséquente par rapport à la réalité physique et substantielle. Cela implique un examen approfondi de la façon dont les variations dans le domaine matériel—allant des altérations physiques aux fluctuations de la valeur tangible—exercent un impact crucial sur les attributs intrinsèques et commercialisables de l’actif. Par conséquent, la matérialité nécessite une évaluation méticuleuse, discernant le lien quantifiable et qualitatif des propriétés d’un actif à son existence matérielle et les implications ultérieures pour la valorisation, l’utilité et la gestion stratégique dans un contexte délimité.

Nouveauté : l'origine et le caractère unique d'un actif, en distinguant s'il s'agit d'une création originale (nommé naissance) au sein du Web3 ou d'une tokenisation (nommé renaissance) de marchés préexistants. Un actif est considéré comme « nouveau » s'il se manifeste intrinsèquement dans l'espace Web3, démontrant des propriétés ou des utilités uniques distinctes des actifs des marchés conventionnels. À l’inverse, un actif connaît une « renaissance » lorsqu’il représente une adaptation symbolique d’un actif préexistant traditionnellement négocié, transposé dans le Web3 pour exploiter les avantages publics basés sur la blockchain tout en maintenant le lien avec les entités de marché établies. Le concept de nouveauté met ainsi l'accent sur l'origine de l'actif et sa transition vers le Web3, offrant un aperçu de ses caractéristiques inhérentes et de la dynamique du marché.

La cartographie des crypto-actifs verts

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Discussion générale

DÉPENDANCE JURIDIQUE

Certains types primaires nécessitent un degré élevé d’implication de l’État, à savoir la propriété, qui nécessite le respect des droits de propriété privée, et la dette, qui peut nécessiter la capacité d’exercer la force pour réclamer et liquider les garanties réelles promises. Même si de nombreux types d’actifs peuvent fonctionner sans une intervention importante de l’État—comme les tokens de processus environnementaux—la surveillance réglementaire peut fournir un certain niveau de protection aux acheteur·ice·s qui attendent des garanties institutionnelles concernant la qualité des actifs.

Au-delà du recours à la force, il est important de reconnaître le rôle de haut niveau que joue l’État dans la réglementation et l’adoption de ces nouveaux actifs. L’État peut créer des « sandboxes » pour l’innovation[15], autrement dit attirer les investisseur·ice·s, faciliter les collaborations public-privé et soutenir les technologies émergentes. Alternativement, L’État peut faire respecter la réglementation actuelle par la force, perturbant ainsi la formation de capital et nuisant aux premier·ère·s innovateur·ice·s. L’équilibre entre la promotion de l’innovation et l’extension excessive du contrôle réglementaire est difficile à trouver, mais en fin de compte, dans le cas des crypto-actifs verts, les institutions publiques chargées de faire face aux crises environnementales en cours ne devraient pas en ignorer le potentiel. Malgré leur nouveauté, il est clair que bon nombre des actifs cités dans cet ouvrage sont prometteurs dans la réalisation des programmes technologiquement neutres en matière de durabilité, d’économie circulaire et de marchés d’actifs naturels que poursuivent déjà de nombreux États.

MATÉRIALITÉ

La complexité d’évaluer dans quelle mesure les propriétés des crypto-actifs verts sont couplées à la réalité matérielle aboutit souvent à l’observation commune et ambiguë selon laquelle cela « dépend ». Cette ambiguïté découle de l'interaction complexe entre des facteurs tels que la technologie sous-jacente de l'actif, l'environnement réglementaire, les conditions économiques et l'objectif spécifique qu'il sert au sein de l'écosystème d'actifs et des marchés plus larges.

Lors de la conception d’actifs verts, plusieurs principes clés aident à orienter leur efficacité et leur alignement avec les objectifs visés. Alors que le paysage évolue, les principes fondamentaux d'une bonne conception d'actifs verts ont tendance à se rapporter aux couches précédentes abordées dans ce document, telles que le contenu du support matériel de l'actif, la méthode et la transparence de sa collecte de données, sa disponibilité et son infrastructure de stockage, et la robustesse de l'institution émettrice telle qu'elle est comprise par la nature de sa gouvernance.

Aujourd'hui, les listes de contrôle d'audit qui évaluent de manière exhaustive la viabilité et l'efficacité de l'économie d'un token sont en cours de normalisation et sont hautement applicables aux diagnostics complexes évoqués par la matérialité.[16] Alors qu'un type tel que les tokens de processus environnementaux ont une approche très claire et méthodologique de la matérialité—par ex. un token carbone = une tonne de carbone séquestrée—des sous-types tels que les actions dans une société d’actifs naturels nécessitent une plus grande diligence, semblable aux cadres ESG. Les listes de contrôle tokenomiques constituent des outils précieux pour évaluer la force et la viabilité d'actifs plus ambigus au sein de l'écosystème financier plus large, et lorsqu'elles sont étendues aux crypto-actifs verts, elles pourraient inclure des questions telles que :

  • Interaction entreprise-token : dans quelle mesure la conception du token s'aligne-t-elle sur les buts commerciaux et les objectifs environnementaux du projet ?

  • Analyse structurelle : évalue l'architecture technique du token, y compris son évolutivité, sa sécurité et sa compatibilité environnementale avec sa blockchain ou sa plateforme sous-jacente.

  • Allocation et distribution : analyse la manière dont les token sont alloués et distribués, garantissant l'équité, traitant de la concentration de la propriété et tenant compte de la durabilité institutionnelle à long terme. Historiquement, la gouvernance des actifs naturels basée sur les biens communs a eu une répartition du contrôle relativement égale. Yochai Benkler, auteur du populaire Wealth of Networks, souligne comment le développement de logiciels open source et les communautés collaboratives en ligne peuvent favoriser une participation et un contrôle plus égalitaires sur les ressources numériques ; ces idéaux communautaires s’étendent aux crypto-institutions vertes.[17]

  • Tests de stabilité et de résistance : teste le modèle économique du token dans divers scénarios, y compris des tests de résistance, pour évaluer sa résilience et sa capacité à maintenir la stabilité tout en maintenant simultanément sa matérialité.

NOUVEAUTÉ

Certains des actifs présentés dans la taxonomie sont des actifs « naissants » et constituent de nouvelles entrées dans toute taxonomie d’actifs verts. Cependant bon nombre de ces actifs sont des actifs du monde réel (RWA) ou des actifs verts existants tokenisés. Il convient de noter que certaines organisations présentent une grille de lecture plus complexe que la dichotomie « Naissance-Renaissance » employée dans la taxonomie des actifs ci-dessus. Le Bank of America Institute propose une thèse selon laquelle « les actifs traditionnels préexistants tokenisés… continuent d'exister hors chaîne dans le « monde réel » mais existent également au sein de l'écosystème des actifs numériques »—par rapport aux « actifs traditionnels tokenisés » où « à aucun moment la propriété symbolique n’a été enregistrée sur la chaîne. »[18]

Détail des actifs : comprendre la cartographie

Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté
Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté

Le type de propriété principal peut être compris comme l’acte, l’état ou le droit de posséder directement des crypto-actifs verts. Sur les marchés traditionnels, les actifs naturels les plus couramment détenus comprennent les biens immobiliers ou les matières premières comme les métaux précieux ou les produits agricoles. Avec le Web3, de nouveaux objets de propriété évolutifs sont introduits, tels que les biens virtuels.

PROPRIÉTÉ D'ACTIFS NATURELS

La propriété symbolique d’actifs naturels est le cas de propriété le plus simple, représentant dans la plupart des cas une propriété fractionnée. La propriété directe d'actifs naturels contraste avec les droits sans possession accordés par les actions dans une société d'actifs naturels, où la société en question utilise, gère ou conserve la propriété dans le but précis d'améliorer la santé de l’environnement. Entendu en termes de fractionnement des actifs, comme évoqué dans le chapitre précédent : la propriété privée fongible d’un actif naturel implique qu’il peut être reconstitué en un tout non fongible par le biais d’une sorte de mécanisme de rachat ; dans notre taxonomie, une société d’actifs naturels ne dispose pas de ce mécanisme de vente.

Alors que de nombreuses expériences en cours sont pionnières en matière de crypto-propriété partagée, en particulier dans l’immobilier, rares sont celles qui ont exploité la propriété partagée comme moyen d’établir des territoires conservés privés, des éco-villages ou d’autres conceptions régénératrices basées sur le lieu.[19] Cela s'explique par la tension inhérente entre propriété et gestion : les propriétés possédées en tant que biens privés ont tendance, sur une période suffisamment longue, à être finalement réalisées dans un but lucratif (et, par extension, dégradées sur le plan environnemental) ; les propriétés de type communal ont tendance à être bien entretenues sur long terme car elles ne sont pas pensées pour un but lucratif. Une considération secondaire concernant leur manque d'adoption est la nature sécuritaire des tokens de propriété : la réglementation des tokens de sécurité est en constante évolution et varie selon les juridictions.

Compte tenu des coûts opérationnels, à l’exclusion de l’or,[20] les matières premières symboliques n’ont pas encore évolué. Les quelques projets qui existent, comme Agrotoken, visent à créer des modèles de stocks de conservation qui utilisent des oracles de données transparents pour fournir une « preuve des réserves de céréales ».[21] En général, la tokenisation des actifs naturels remet en question les méthodes actuelles de détermination des prix : le prix du café « vert », par exemple, est principalement fixé par des bourses à terme centralisées aux États-Unis et au Royaume-Uni.[22] Si d’une part cette pratique réduit les risques tout au long de la chaîne d’approvisionnement, d’autre part, elle introduit un niveau élevé de financiarisation sujet à la manipulation[23] qui risque de mal évaluer l’actif et de centraliser les revenus.[24] Avec le café et d’autres produits de base, les marchés de pair à pair (P2P) inhérents au Web3 et à la finance décentralisée (DeFi) pourraient finir par être plus efficaces que l’infrastructure de marché existante une fois qu’un réseau de dépositaires sécurisés et fiables du secteur privé sera établi.

OBJETS DE COLLECTION NUMÉRIQUES « VERTS »

Le terme « objets de collection numériques » ne parvient pas à saisir les vastes économies virtuelles (ou « métaversales ») qui émergent dans le Web3. Il est néanmoins utilisé dans ce livre pour désigner les vastes inventaires de jeux tokenisés créés pour les mondes virtuels naissants sur les blockchains. Ces « inventaires entièrement composables peuvent également être des portefeuilles[25] qui visent à atteindre leurs propres objectifs économiques en tant qu’agents générateurs d’IA[26]—un concept qui sera revisité plus tard lors de l’examen des chaînes d’approvisionnement vertes.

Bien que les achats virtuels soient aujourd’hui courants dans l’industrie du jeu, leur état n’est pas interopérable entre les différents écosystèmes de gaming. La sphère émergente « Game Finance » (GameFi) dans le Web3 offre aux joueur·euse·s des niveaux remarquables de propriété, de sécurité et de perspectives économiques. Les développeur·euse·s de jeux Web3 ont réorganisé les approches de jeu conventionnelles, accordant aux joueur·euse·s plus de contrôle dans la création d'économies virtuelles où les joueur·euse·s/utilisateur·ice·s—et non plus seulement les producteur·ice·s de jeux—partagent la richesse. Tout NFT ou token dans un jeu Web3 peut être entièrement représenté dans n'importe quel autre jeu, créant ainsi un historique dynamique de propriété et d'utilisation.

La collection Ecosapiens sur OpenSea. Source : Capture d'écran de la collection Ecosapiens Genesis (Alpha), utilisée dans un cadre fair use.
La collection Ecosapiens sur OpenSea. Source : Capture d'écran de la collection Ecosapiens Genesis (Alpha), utilisée dans un cadre fair use.

Dans un contexte environnemental, il existe une opportunité unique de concevoir des objets de collection numériques de haute matérialité. Aujourd’hui, les exemples incluent les NFT Ecosapien—des objets de collection créés par le retrait d’actifs carbone[27] – ou les expériences de la Sovereign Nature Initiative dans la mécanique « jouer pour conserver » (« play-to-conserve »), où :

« Les objets et les cosmétiques du jeu… acquièrent des capacités et des attributs sauvages tout en sauvant de vrais animaux de l'extinction… Chaque fois qu'une organisation de conservation télécharge de nouvelles données issues de son travail sur le terrain, les avatars du jeu ainsi que les ensembles d'objets et les accessoires reflètent la mise à jour. »[28]

Alors que le marché des achats dans le jeu se chiffre désormais en centaines de milliards de dollars[29], tous les fournisseur·euse·s d’actifs verts bénéficient d’une utilité financière supplémentaire en créant des mécanismes qui, en fin de compte, détournent les fonds des économies virtuelles vers un impact matériel. La principale difficulté réside dans la connexion de projets distincts dans un « monde autonome » unique et écologique[30], où les crypto-actifs verts prennent une seconde vie les uns par rapport aux autres. Isolées, des expériences comme GeoWeb qui ont superposé des NFT sur l'intégralité d'une terre virtuelle[31] ne sont pas tout à fait utiles, mais évoluent lorsqu'elles sont combinées avec des crypto-actifs gamifiés au sein et à travers des économies entièrement ouvertes. Autrement dit : le potentiel d’impact de tout crypto-actif vert est immédiatement exponentialisé par l’utilité combinée des mondes de jeu qui l’exploitent de différentes manières pour la satisfaction des joueur·euse·s.

BIENS DIGIPHYSIQUES VERTS

Les biens digiphysiques (ou « phygitaux ») font généralement référence à des « biens qui existent sous forme physique, tout en maintenant un lien cryptographique avec leur enregistrement numérique (sur la chaîne) via la technologie NFC [communication en champ proche]. »[32] Contrairement aux objets de collection numériques, la moitié virtuelle d'un digiphysique cryptonatif est directement liée avec un bien matériel associé ; en effet, les digiphysiques, lorsqu’ils sont étroitement couplés, sont deux moitiés simultanées d’un tout numérique-physique.

Leur proposition de valeur clé réside dans leur exigence unique d'attributs virtuels et physiques, où, lorsqu'ils sont étroitement couplés, le NFT représentant l'actif physique ne peut pas être transféré sans que l'actif physique en question ne soit également transféré. Des couplages plus lâches sont également possibles, comme les NFT sur la faune sauvage en voie de disparition de Plastiks, qui font participer le donateur·ice caritatif·ive à une loterie pour un t-shirt dédicacé du FC Barcelone—une opportunité d'échanger le NFT contre le bien en question (mais pas le bien lui-même). [33] D'autres couplages lâches incluent les fonctionnalités de burn-and-redeem (en français : « brûle et échange »), de redeem-and-replace (en français : « échange et remplace ») ou d'accès, dans lesquelles un NFT est détruit, échangé ou présenté en échange d'un bien physique.[34]

Les produits digiphysiques natifs au Web3 constituent la plus récente tentative de regrouper les expériences virtuelles et les utilités de la plate-forme dans des biens de consommation du monde réel. Ils sont issus de technologies déjà existantes, telles que les cartes de crédit : des produits digiphysiques conçus pour donner à leurs utilisateur·ice·s un accès aux réseaux de paiement et de crédit. Source : Inspiré du tableau « Digiphysicals » de 1k(x), utilisé dans un cadre fair use.
Les produits digiphysiques natifs au Web3 constituent la plus récente tentative de regrouper les expériences virtuelles et les utilités de la plate-forme dans des biens de consommation du monde réel. Ils sont issus de technologies déjà existantes, telles que les cartes de crédit : des produits digiphysiques conçus pour donner à leurs utilisateur·ice·s un accès aux réseaux de paiement et de crédit. Source : Inspiré du tableau « Digiphysicals » de 1k(x), utilisé dans un cadre fair use.

Le « digiphysicalisme » peut améliorer la qualité environnementale des biens et services. Dans le cas des marchandises, le domaine de la logistique verte présente un intérêt particulier. La logistique verte « décrit toutes les tentatives visant à mesurer et minimiser l'impact écologique des activités logistiques. »[35] La digiphysique peut aider à normaliser la mesure des externalités négatives de la chaîne d'approvisionnement, telles que les coûts énergétiques. La véritable innovation de Web3 réside dans l’environnement de liquidité mondial auquel chaque smart object (en français « objet intelligent ») Web3 peut participer en tant que propre agent de marché.

Rappelons dans la section des objets de collection numériques ci-dessus que les objets intelligents basés sur la blockchain peuvent gérer leurs propres fonds en tant qu'agents objets génératifs utilisant des technologies avancées telles que l'IA. Sachant cela, il est possible d’imaginer des chaînes d’approvisionnement publiques blockchain remplies d’agents objets capables de neutraliser de manière autonome l’impact environnemental de leur production, de leurs déplacements et de leur consommation. L'automatisation de la gestion des processus de la chaîne d'approvisionnement par des objets intelligents est proposée—généralement sous les bannières « Industrie 4.0 », « Logistique 4.0 » ou « Cyber Physical Systems »[36]—depuis 2011.[37] Witthaut et al. (2017) illustrent les fonctionnalités uniques que ces agents-objets peuvent exécuter via un conteneur d'expédition standard :

« Le conteneur détecte « lui-même » qu’il n’atteindra pas le port à temps, il « choisit » une alternative de transport appropriée et « choisit » un transporteur local sur un marché pour effectuer le transport. Le conteneur « paie à la collecte » [souligné par les auteur·ice·s] et arrive ponctuellement à destination, tandis que la transaction financière se réalise en même temps ».[38]

L’extension de cette fonctionnalité à la logistique verte invite à spéculer sur la création de processus uniques et respectueux de l’environnement qui ne peuvent exister que sur des blockchains publiques. Par exemple : un bien digiphysique natif au Web3 expédié à l'échelle internationale pourrait auto-compenser son coût de transport en carbone entre son point d'origine et son point de vente, à condition qu'il puisse référencer sa distance de transport et son(ses) mode(s) de transport (qui seraient, par exemple, fourni par un(des) oracle(s)). Pour ce faire, il calculerait son coût de transport de carbone au point de vente, puis utiliserait un échange public décentralisé tel qu'Uniswap pour acheter et retirer une quantité équivalente d'actifs carbone tokenisés. Le coût lui-même pourrait être supporté soit par le·la producteur·ice, soit par le·la consommateur·ice, soit par l'objet intelligent lui-même (s'il dispose de fonds) afin que la vente soit traitée.

Visualisation de l'auto-compensation du carbone produit par les déplacements de biens digiphysiques.
Visualisation de l'auto-compensation du carbone produit par les déplacements de biens digiphysiques.

Au-delà du retrait des actifs carbone, les agents-objets intelligents de ces réseaux d’approvisionnement natifs Web3 pourraient également être soumis à des interventions économiques institutionnelles de la part d’organismes de gouvernance de plus haut niveau. Imaginez une politique d'émission de tokens de DAO dans laquelle les consommateur·ice·s  créent des tokens en achetant des biens produits localement. Cela est tout simplement impossible dans l’écocapitalisme 1.0, où ces automatisations sont contraintes par la liquidité fragmentée du marché et le manque d’interopérabilité technique. Pour résumer : des crypto-actifs verts entièrement nouveaux, soumis à de nouvelles formes d'interventions institutionnelles respectueuses du climat, seront possibles une fois que les biens digiphysiques natifs au Web3 deviendront le moyen par défaut de traiter et gérer les objets intelligents dans les chaînes d'approvisionnement.

Parallèlement à l’internalisation prospective des coûts environnementaux au niveau des réseaux d’approvisionnement, la capacité des produits de base à manifester leurs propres interactions et histoires environnementales introduit une nouvelle dimension à leur impact potentiel. Les entités digiphysiques peuvent incarner des fonctionnalités rappelant un « bracelet de festival » utilisé par les participant·e·s pour faciliter l'entrée, exécuter des transactions avec les fournisseur·euse·s de biens et de services sur place et échanger de potentielles récompenses.[39] En extrapolant cela à un contexte environnemental, on pourrait imaginer des « bracelets » conçus pour réguler l’accès et faciliter les services écosystémiques au sein des territoires de conservation, accumulant des tokens en tant que récompense en reconnaissance de la participation et des activités vérifiables et impactantes. À l’extrême, nous pouvons imaginer des mécanismes de don ou d’échange avec les espèces rencontrées utilisant leurs propres monnaies interspecies (en français « inter-espèces »).[40] Un tel bracelet, piloté par la politique monétaire d'une institution socioécologique dirigeant le territoire, apparaît comme un puissant instrument éco-cybernétique pour inciter et orienter les entités humaines et non humaines vers la co-construction de communautés régénératrices, caractérisées par une collaboration et un commerce percutants.

ACTIFS RENOUVELABLES DU MONDE RÉEL (RENEWABLE RWA)

En 2021, le fondateur de MakerDAO a présenté une vision audacieuse pour la création de ce qu’il appelle de la clean money (en français : « argent propre ») : des stablecoins collatéralisés par des Real-World Asset (RWA) provenant d’« actifs durables et alignés sur le climat qui prennent en compte les impacts à long terme de l’activité financière sur l’environnement ».[41] Depuis lors, les DAI collatéralisés par des RWA ont considérablement augmenté : en juin 2023, il existait 2,3 milliards de dollars de DAI collatéralisés par des RWA.[42] Malheureusement, l’initiale vision audacieuse de l’argent propre n’a pas encore été réalisée, et le portefeuille RWA actuel de MakerDAO ne repose pas sur la propriété d’infrastructures d’énergie renouvelable.

Cela étant dit, il existe de solides arguments en faveur de la tokenisation des actifs d’énergie renouvelable, car ces actifs ont le potentiel de concrétiser la vision de l’argent propre. Le Web3 propose des solutions généralisées—responsabilité programmable, interopérabilité, transparence par défaut—à la myriade de problèmes qui entravent les investissements dans les énergies renouvelables, un secteur où la réglementation varie considérablement, les contrats ne sont pas standardisés et la diligence raisonnable est pleine de problèmes entre mandant et agent.[43] Sur le plan architectural, ces problèmes d'investissement[44] sont parallèles aux avantages architecturaux que la blockchain introduit dans certains types de systèmes d'énergie renouvelable, tels que les systèmes solaires. L’énergie solaire distribuée est confrontée à des problèmes de mise à l’échelle en raison de « l’indisponibilité d’une plate-forme commune pour la communication et le partage d’informations, l’indisponibilité des informations, la tenue de registres inappropriée et la sécurité limitée des informations »—des problèmes que le Web3, en tant que technologie de confiance générale, atténue.[45]

DROITS SUR LES DONNÉES ÉCOLOGIQUES

La tokenisation des données est le processus de conversion de données de toute sorte en tokens pouvant être transférés en toute sécurité sans révéler les données d'origine. Ce processus améliore « la sécurité, la confidentialité et la conformité des données tout en empêchant tout accès non autorisé et toute utilisation abusive ».[46] Les datatokens sont une nouvelle classe d'actifs native au Web3—ne trouvant pas d'équivalent dans le monde traditionnel—où les conditions techniques d'accès de la propriété intellectuelle (IP) sont intégrés dans sa forme d’actif. Toutes les formes de propriété intellectuelle, depuis « les brevets, les ensembles de données ou les accords contractuels », sont enveloppées dans des tokens comme IP-NFTS, « permettant un transfert facile et une propriété collective sur ces actifs. »[47] Les IP-NFT sont un modèle de token de plus en plus populaire mis en œuvre dans la communauté scientifique décentralisée (DeSci)[48], ayant déjà prouvé leur utilité en tant qu'instruments d'investissement dans les secteurs de la biotechnologie[49] et de la longévité[50].

« Le mouvement scientifique décentralisé espère devenir un modèle alternatif de financement et de partage des connaissances pour les scientifiques… Ils utilisent des tokens à des fins de collecte de fonds, amassant une trésorerie qui est directement utilisée pour le financement de la recherche… À terme, le projet finira (espérons-le) par un token de propriété intellectuelle (IP-NFT : token non fongible de propriété intellectuelle) — quelque chose comme un brevet, qui appartient à la DAO et régi par tous les détenteurs de tokens. »

— Nature Biotechnology, La communauté du DAO

La tokenisation des données apparaît comme une solution potentielle de disponibilité des données aux défis profonds auxquels sont confrontés les développeur·euse·s d’IA, en particulier pour les petites et moyennes entreprises (PME) et les régions comme l’UE qui sont aujourd’hui relativement désavantagées en matière de données.[51] Reconnaissant le rôle indispensable des données dans le perfectionnement et la formation des technologies d’IA, qui évoluent rapidement de la simple reconnaissance de formes à la prévision environnementale avancée, il est impératif d’augmenter le stock et la qualité des données environnementales mondiales.

Évolution du nombre de publications académiques en biologie synthétique au fil du temps. À mesure que l’intérêt pour ces domaines émergents augmente, la demande en données de séquençage d’ADN provenant du monde naturel devrait croître. Les IP-NFT offrent une solution à faible coût pour assurer la répartition équitable des revenus dérivés de ces efforts, aidant à financer la conservation et efforts de régénération de la biodiversité sur le terrain. Source : La reproduction de ce tableau par Kent Redford et Thomas Brook à des fins éducatives ou à d'autres fins non commerciales a été autorisée par le détenteur des droits d'auteur.
Évolution du nombre de publications académiques en biologie synthétique au fil du temps. À mesure que l’intérêt pour ces domaines émergents augmente, la demande en données de séquençage d’ADN provenant du monde naturel devrait croître. Les IP-NFT offrent une solution à faible coût pour assurer la répartition équitable des revenus dérivés de ces efforts, aidant à financer la conservation et efforts de régénération de la biodiversité sur le terrain. Source : La reproduction de ce tableau par Kent Redford et Thomas Brook à des fins éducatives ou à d'autres fins non commerciales a été autorisée par le détenteur des droits d'auteur.

Dans la sphère DeSci environnementale, l’intérêt grandit autour des cas d’utilisation couvrant les données de séquençage de l’ADN de la biodiversité. Des projets tels que Earth Bank of Code proposent des IP-NFT pour accéder aux données de séquençage de l'ADN.[52] SimplexDNA développe le token Franklin en tant que « token numérique eDNA »,[53] et le New Atlantis DAO vise à créer une « plateforme ouverte d'analyse de la biodiversité métagénomique marine ».[54] Space Time Labs, un studio de sciences et technologies environnementales, affirme que les données de séquençage génétique du monde naturel contiennent « un potentiel de gain économique… [répondant] à la question séculaire de la communauté de la biodiversité : comment pouvons-nous garantir la pérennité de l’habitat naturel rapporte plus que sa destruction » ?[55]

Les ecological state tokens (en français : « tokens d'état écologique ») proposés par Curve Labs sont une forme de droits sur données écologiques tokenisés. Dans ce diagramme, de bas en haut, les tokens de données écologiques sont produits en soumettant des données à trois bases de données territoriales appelées « GeoNFT » qui englobent chacune un récif ou une prairie de Posidonie. Les différents datatokens émis par chaque GeoNFT sont regroupés en un seul token d'indice pour améliorer la liquidité du marché. Traduction française (de haut en bas, de gauche à droite) : « Meta-Indice Posidonie », « Surfaces liées des tokens », « Indice des récifs », « Indice de ville 1 », « Indice de prairies », « ecological state token (GeoNFTs fractionnés) », « GeoNFTs », « Récifs et prairies », « Récif », « Prairie », « Prairie », « Ville 1 », « Ville 2 ».Source : L'utilisation de ce graphique de partage et d'indexation GeoNFT par Louise Borreani a été autorisée par le détenteur des droits d'auteur.
Les ecological state tokens (en français : « tokens d'état écologique ») proposés par Curve Labs sont une forme de droits sur données écologiques tokenisés. Dans ce diagramme, de bas en haut, les tokens de données écologiques sont produits en soumettant des données à trois bases de données territoriales appelées « GeoNFT » qui englobent chacune un récif ou une prairie de Posidonie. Les différents datatokens émis par chaque GeoNFT sont regroupés en un seul token d'indice pour améliorer la liquidité du marché. Traduction française (de haut en bas, de gauche à droite) : « Meta-Indice Posidonie », « Surfaces liées des tokens », « Indice des récifs », « Indice de ville 1 », « Indice de prairies », « ecological state token (GeoNFTs fractionnés) », « GeoNFTs », « Récifs et prairies », « Récif », « Prairie », « Prairie », « Ville 1 », « Ville 2 ».Source : L'utilisation de ce graphique de partage et d'indexation GeoNFT par Louise Borreani a été autorisée par le détenteur des droits d'auteur.

Les datatokens écologiques peuvent être considérés comme « verts » dans le sens où leur possession, leur mise en jeu ou leur échange sur les marchés génèrent des flux financiers qui encouragent une prise de conscience et une compréhension croissantes des écosystèmes complexes. Comme mentionné dans les chapitres précédents, l'observation de la biosphère et de ses écosystèmes constitutifs est la première étape cruciale vers une intervention efficace. Les données écologiques qui informent sur l’état d’un écosystème sont d’une importance capitale pour la gestion continue de l’environnement, utilisées dans les simulations écologiques et le développement de modèles, les modèles climatiques, la vérification des résultats de recherche, la méta-analyse, la gestion des ressources naturelles et l’éducation (entre autres cas d’utilisation).

Le marché des données sur l’état écologique s’est considérablement développé au fil des années et de nombreuses applications nécessitant des données écologiques de haute qualité sont en cours de développement. De nouvelles branches financières telles que Spatial Finance qui intègrent « les données géospatiales à l’analyse financière et à la prise de décision »[56] et des algorithmes/applications d’IA innovants qui ont pour objectif direct de conserver ou de régénérer les écosystèmes naturels émergent.[57] Des exemples de projets Web3 collectant des données environnementales incluent dClimate[58] et la base de données Open Climate d'Open Earth.[59] Le secteur mondial des données de surveillance environnementale a atteint plusieurs milliards de dollars en 2020 et devrait doubler d’ici 2030.

Malgré l’appétit général pour les données sur l’état écologique de divers types (agriculture, surveillance environnementale, météorologie et climat), les ensembles de données disponibles restent limités et cloisonnés entre acteur·ice·s, territoires et industries. Le Web3 offre la possibilité de collectiviser de grands ensembles de données pour former ce que l'on appelle des datatrust DAO, renforçant le contrôle et le pouvoir de marché dont disposent les producteur·ice·s  de données sur leurs données. Dans cette optique, les DAO ont le potentiel de démocratiser la vaste richesse offerte par la biodiversité et d’autres propriétés scientifiques environnementales, encourageant ainsi davantage la collecte de données adéquates.

Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté
Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté

ACTIONS DANS UNE SOCIÉTÉ D’ACTIFS NATURELS

Les sociétés d'actifs naturels (SAN) sont des entités juridiques qui gèrent et régissent le capital naturel, mais n'ont pas le droit de liquider/privatiser l'actif naturel. Au lieu de cela, elles « ont pour mission de protéger, restaurer et développer les actifs naturels sous leur gestion afin de favoriser des écosystèmes sains. »[60] Dans Web3, les entités de type SAN ont tendance à être attachées à des entités sœurs DAO via une sorte de lien juridique. Ce processus permet aux DAO de « déléguer une autorité limitée sur les actifs transférés des trésoreries communautaires de la DAO (y compris potentiellement des tokens et de la propriété intellectuelle) à un conseil d'administration qui est soumis à des obligations fiduciaires uniquement envers la communauté et le DAO ».[61] Il s’agit d’une exigence courante pour la gestion des actifs naturels, car la propriété directe des actifs naturels par les DAO est opérationnellement irréalisable, principalement en raison de contraintes juridiques.

Les actions tokenisés de sociétés d’actifs naturels, ou d’autres instruments institutionnels de contrôle tels que les tokens de gouvernance de réseau, sont pertinents pour cette cartographie car ils ont un impact plus ou moins direct sur l’offre et la demande de capital naturel de haute qualité. Le contrôle fractionné de ces entités implique la propriété communautaire d'un bien commun, une forme de gouvernance historiquement prouvée qui est particulièrement utile pour la cogestion du capital naturel.[62] Par exemple, alors que les forêts du Népal étaient menacées de disparition, le gouvernement a voté en 1993 une loi forestière autorisant « les gardes forestiers du Népal à céder les forêts nationales à des groupes forestiers communautaires ». Le résultat de cette gestion communautaire a été un quasi-doublement de la couverture forestière.[63]

Les SAN s’écartent souvent des organisations à but lucratif traditionnelles. Par exemple, les Benefit Corporations (B Corps) sont un type d'entité commerciale à but lucratif qui inclut un impact positif sur la société, les travailleur·euse·s, la communauté et l'environnement en plus du profit comme objectifs légalement définis.[64] De même, les entreprises « appartenant à des intendant·e·s » (en anglais : steward-ownership) donnent la priorité à l’éthique et à la mission de l’entreprise plutôt qu’au gain financier et cherchent à équilibrer les intérêts de toutes les parties prenantes (y compris les employé·e·s, les client·e·s et la communauté). Les entreprises appartenant à des intendant·e·s intègrent généralement des principes dans leur structure juridique qui garantissent qu'elles restent indépendantes, axées sur leur mission et gouvernées par ceux qui sont les plus étroitement impliqués dans l'entreprise. L'une des sociétés appartenant à des intendant·e·s les plus connues est la marque de vêtements Patagonia.[65]

Dans le Web3, de nouveaux concepts émergent dans lesquels les actions SAN sont tokenisées. Un exemple est la Traditional Dream Factory (TDF),[66] un espace de cohabitation Web3 situé au Portugal. TDF supervise diverses initiatives de forêts vivrières et de reboisement, avec une approche juridique unique où « la terre s’auto-possède ». En pratique, le terrain est détenu par l'OASA, une association s'apparentant à un Land Trust, et représente légalement la TDF DAO. Les membres de TDF possèdent le droit d'utiliser les installations construites sur le terrain, ainsi que la responsabilité de nourrir le sol et d'améliorer sa vitalité. Le token TDF facilite la gouvernance de la TDF DAO/OASA, fonctionnant de la même manière qu'une action SAN tokenisée.

Les visions alternatives des actifs de gouvernance Web3 NAC incluent :

  • Nature’s Vault Gold Token représente des droits miniers symboliques sur plus de 150 699 onces d’or protégé. Aucune propriété sur la terre ni sur ses produits n'est accordée, car l'or ne sera pas extrait. Le token accorde certains droits de gouvernance, grâce auxquels les détenteur·ice·s de tokens peuvent voter sur des questions telles que « l'acquisition de nouvelles mines, l'augmentation de l'offre de tokens NaturesGold… des projets environnementaux et durables menés sur des sites miniers préservés, des partenariats clés, le soutien d'initiatives environnementales et sociales ».[67]

  • Ekonavi, une DAO à participation communautaire qui vise à multiplier les projets régénérateurs dans le monde entier.[68] Le rôle d'Ekonavi consiste à valider les blocs pour Regen Network et IXO, dont les récompenses (en anglais : bloc rewards) financent les projets à soutenir en fonction des décisions de la DAO. Les tokens Ekonavi se traduisent par un contrôle et une influence sur ces allocations de financement vers des entreprises régénératrices—et donc par extension, des actifs naturels.

Une progression visionnaire pour les SAN implique de les améliorer grâce à la gouvernance de l’IA. À l’instar des agents digiphysiques, les agents d’IA génératifs pourraient avoir un contrôle limité sur certains aspects des opérations d’une SAN, tels que la gestion des actifs naturels. Les premières expériences avec l’IA démontrent déjà une plus grande efficacité que les entreprises gouvernées par l’homme. L'« IA démocratique » de Google constitue un exemple fascinant, où la redistribution des ressources en fonction des disparités initiales est préférée à une redistribution des ressources effectuée par un humain… par un jugement humain ![69] Ce concept audacieux s’aligne sur la mission de Digital Gaia de fournir à l’IA « des idées et des connaissances partagées qui fondent les décisions sur le profit, la planète et les personnes »,[70] ou de rendre possible le rêve terra0 d’une forêt autonome et croissante.[71] Les campagnes visant à donner à la nature un statut juridique pourraient s'étendre au plaidoyer en faveur de l'octroi d'une capacité d'action génératrice à la nature.[72]

DROITS SUR LES OUTPUTS

Ce graphique met en avant la diversité et la modularité des actifs de droits sur les outputs. Les actifs liés aux droits sur les outputs couvrent un large éventail de biens et de flux financiers variables, qui peuvent être échangés sur différents types de marchés. Dans cet exemple, les actifs de droits sur les outputs peuvent être des droits sur les produits de base (par exemple les fruits), les revenus de production (par exemple les revenus de la vente de fruits), les revenus de production financiers (par exemple les revenus de la vente de compensations de carbone produites par la culture d'arbres fruitiers), ou des redevances. Il est également envisageable de recevoir des redevances sur l’échange d’actifs de droits sur les outputs, comme cela existe aujourd’hui pour certains NFT.
Ce graphique met en avant la diversité et la modularité des actifs de droits sur les outputs. Les actifs liés aux droits sur les outputs couvrent un large éventail de biens et de flux financiers variables, qui peuvent être échangés sur différents types de marchés. Dans cet exemple, les actifs de droits sur les outputs peuvent être des droits sur les produits de base (par exemple les fruits), les revenus de production (par exemple les revenus de la vente de fruits), les revenus de production financiers (par exemple les revenus de la vente de compensations de carbone produites par la culture d'arbres fruitiers), ou des redevances. Il est également envisageable de recevoir des redevances sur l’échange d’actifs de droits sur les outputs, comme cela existe aujourd’hui pour certains NFT.

En échange de l'engagement dans des activités de staking, ou de la conservation d'un certain token dans le temps, l'utilisateur·ice a le privilège d'accéder à divers types d’outputs, tels que les rendements matériels (par exemple le café), les produits financiers (par exemple les compensations carbone) ou les revenus dérivés des outputs d’un bien naturel désigné (par exemple une propriété). Ce concept s'écarte fondamentalement des notions traditionnelles de propriété, car il concerne exclusivement le droit à l'accès et au bénéfice de ses résultats (ses outputs).

Ces types de baux ne sont pas étrangers au monde de la finance traditionnelle ; où les contrats de profit à prendre permettent « à une personne de prendre une partie du sol ou de produire des terres que quelqu'un d'autre possède… comme dans l'extraction de minéraux ».[73] Cependant, avec le Web3, nous avons affaire à des utilitaires innovants sur les crypto-actifs, comme le staking pour gagner des droits sur les outputs, un concept sans équivalent financier traditionnel. Notamment, le caractère des actifs liés aux droits sur les outputs revêt un caractère « vert » lorsque la source des produits en question provient de ressources naturelles régénératives. Les détenteur·euse·s de NFTrees fruitiers de Coorest reçoivent une part des revenus de la vente des fruits d'« environ 12 USDC par an », mais ne sont pas propriétaires des fruits, de la terre ou des arbres eux-mêmes.[74] Situé simultanément dans les secteurs de l'énergie et du carbone, nous mettons en avant le token Glow (GLW) qui, une fois staké, rend les fermes solaires éligibles à recevoir des récompenses pour leur production de Glow Carbon Credits, une compensation contrefactuelle représentant « une tonne de CO2 qui n'a pas été émise » dans l’atmosphère »[75] en raison de la production durable d’énergie solaire (voir la section Compensations carbone contrefactuelles ci-dessous).

UNE AUTRE UTILITÉ SOCIALE OU UN AUTRE DROIT D’USAGE

Les tokens de gouvernance dans le Web3 ont tendance à inclure la communauté d'utilisateur·ice·s à un niveau beaucoup plus élevé que les entreprises traditionnelles, mais ces tokens ne représentent souvent pas la propriété ou les capitaux propres d'une entreprise légalement constituée. Voici un exemple du token de gouvernance CabinDAO, qui est principalement détenu par la communauté.Traduction en français : titre « allocation des actions en gouvernance ». A gauche « start-up traditionnelle » avec 48% aux « partenaires », 50% aux « fondateur·ice·s » et 5% aux « nouveaux·elles employé·e·s ». A droite « Cabin » avec 80% à la « communauté », 10% aux « fondateur·ice·s », et 10% aux « partenaires ».Source : Graphique d'allocation des parts de gouvernance par cabine, utilisé dans un cadre fair use.
Les tokens de gouvernance dans le Web3 ont tendance à inclure la communauté d'utilisateur·ice·s à un niveau beaucoup plus élevé que les entreprises traditionnelles, mais ces tokens ne représentent souvent pas la propriété ou les capitaux propres d'une entreprise légalement constituée. Voici un exemple du token de gouvernance CabinDAO, qui est principalement détenu par la communauté.Traduction en français : titre « allocation des actions en gouvernance ». A gauche « start-up traditionnelle » avec 48% aux « partenaires », 50% aux « fondateur·ice·s » et 5% aux « nouveaux·elles employé·e·s ». A droite « Cabin » avec 80% à la « communauté », 10% aux « fondateur·ice·s », et 10% aux « partenaires ».Source : Graphique d'allocation des parts de gouvernance par cabine, utilisé dans un cadre fair use.

Au-delà de l’accès aux produits fonciers, un token spécifique peut accorder des droits d’accès privilégiés ou une gouvernance sans équité—faisant du token, en partie, un actif vert lorsque la DAO en question est écologiquement biaisée. Ce sous-type d’actif est complexe à appréhender et les exemples qui illustrent sa mise en œuvre sont extrêmement divers. Nous proposons trois exemples pour mettre en évidence cette diversité :

  • Les tokens CabinDAO (₡ABIN) offrent le pouvoir de gérer le « catalogue de cohabitation »—c’est-à-dire la liste croissante des propriétés Cabin disponibles pour la cohabitation : « En acquérant… ₡ABIN, vous obtenez la possibilité de participer au réseau et de gouverner la DAO. La DAO est chargée de déterminer la proposition et le processus de vérification, de voter pour l'ajout et la suppression de propriétés, de gérer le protocole et les règles de staking, et d'afficher le catalogue ».[76] Essentiellement, les détenteur·ice·s de tokens acquièrent une certaine autorité constitutionnelle (les règles permettant de modifier les règles), le pouvoir de gérer une liste blanche de propriétés sous forme de contrat intelligent (en anglais : smart contract) et le pouvoir de définir des règles de staking et d'autres propriétés de crypto-actifs. Dans une proposition, les détenteur·ice·s de tokens ont voté pour redéployer et redistribuer une troisième version du token avec des propriétés et une distribution très différentes de celles des anciennes versions.[77] Cela met en évidence la nature évolutive des tokens en tant qu’actifs dont les propriétés changent au fil du temps. Bien que ₡ABIN ne soit pas un crypto-actif vert, son cas d'utilisation en tant que token de conservation met en évidence le potentiel des communautés auto-organisées à appliquer des principes socioécologiques à l'ensemble de leurs membres et à leurs actifs naturels, par exemple.

  • L'ONG japonaise Whole Earth Foundation a lancé un projet pilote de « token de bouche d’égout » (en anglais : manhole token) : en échange de la soumission d'une photo d'une bouche d'égout désignée, les joueur·euse·s du jeu de collecte de données participative recevaient un token à retirer sur Line Pay.[78] Le token a permis d'encourager un certain niveau de collecte de données urbaines—une chasse au trésor à l'échelle de la ville. Ce fut un succès, permettant de documenter 10 500 bouches d’égout en 3 jours lors de tests à Shibuya. « Il aurait fallu de nombreuses années aux ingénieurs municipaux pour accomplir la même tâche ».[79] Cette surveillance de l'état urbain est utile aux autorités municipales, car un nombre croissant de législateur·ice·s conscient·e·s du changement climatique visent à améliorer la résilience au niveau territorial des zones urbaines et de leurs environs.[80] Le suivi les aide à comprendre et à répondre aux besoins infrastructurels de leurs administré·e·s, comme une préparation accrue aux catastrophes. Par conséquent, les « tokens de bouche d’égout » ont préparé la ville aux intempéries en réduisant la possibilité de « bouches d’égout endommagées » risquant de refouler le système d’eau.[81] Des projets similaires existent dans le secteur émergent des infrastructures de réseaux physiques décentralisés (DePIN), où les utilisateur·ice·s du réseau sont récompensé·e·s par des tokens de divers services publics pour un grand nombre de tâches, de la surveillance environnementale à la gestion des stations météorologiques.[82]

  • Les tokens pourraient représenter le droit d’utiliser ou de gouverner certaines infrastructures vertes ou propres, telles que les flottes de véhicules électriques, sans représenter la propriété des actifs sous-jacents. Il n’est pas rare aujourd’hui que de nombreux services vendent des abonnements basés sur l’accès, et à l’instar des tokens d’adhésion aux flottes électriques, Uber a déjà expérimenté des produits d’abonnement.[83] Traduites en langage Web3, les adhésions Uber seraient des NFT dynamiques qui transfèrent périodiquement des fonds à une personne morale et expirent si aucun fonds n'est disponible. Ce modèle économique peut être facilement recréé avec un biais environnemental, et aujourd'hui, certains projets DePIN comme DIMO construisent ce type d'infrastructure de covoiturage Web3.[84]

Tokens de processus environnementaux

Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté
Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté

Les tokens de processus environnementaux[85] sont les crypto-actifs verts par excellence : des actifs porte-drapeau qui visent à représenter un processus environnemental spécifique, tel que la séquestration du carbone ou la biodiversité. Pour garantir une représentation équitable de ces processus environnementaux, leur production est institutionnellement limitée par des méthodologies définissant les normes de suivi, de rapport et de vérification (MRV).[86] En règle générale, plus la méthodologie est stricte, plus sa représentation de la réalité matérielle sous-jacente est juste. Traditionnellement, ces méthodologies ont été développées, certifiées et régies par des institutions centralisées, dont les actifs émis sont échangés sur des marchés volontaires ou réglementés traditionnels. Aujourd'hui, quatre principales entreprises élaborent des normes et certifient des projets : Verra, Gold Standard, American Carbon Registry et Climate Action Reserve.[87] Ces émetteurs et la chaîne de valeur dans son ensemble, y compris les développeur·euse·s de projets et les courtier·ère·s, font l'objet d'une surveillance générale pour fraude, double comptabilisation et résultats matériels douteux, révélant de nombreuses opportunités pour l'innovation Web3 de combler ces lacunes structurelles.[88]

Cartographie de différents fournisseur·euse·s de tokens de processus environnementaux Web3, classés selon leur stratégie méthodologique MRV. Les actifs appartenant à des « bridged or pooled credits » désignent les actifs traditionnels produits par des fournisseur·euse·s traditionnel·le·s qui ont été emmenés sur les chaînes. Les « own credits » définissent les actifs qui suivent une méthodologie MRV traditionnelle mais qui ont été émis ou emmenés sur la chaîne par la société Web3 citée. Les actifs « in development » indiquent les actifs en cours de développement selon une méthodologie MRV innovante définie par le projet Web3 lui-même. Enfin, les actifs « launched » désignent les actifs qui ont été développés selon une méthodologie MRV innovante définie par le projet Web3 lui-même et qui sont actuellement négociables sur les chaînes. Les légendes couleurs au bas du schéma représentent les différentes chaînes sur lesquelles les projets sont ou seront déployés, « EVM compatible » signifiant une compatibilité avec l’EVM, et « Non-EVM Compatible » une absence de compatibilité avec l’EVM. Source : Le graphique de Louise Borreani a été publié sous une licence internationale CC BY 4.0 DEED.
Cartographie de différents fournisseur·euse·s de tokens de processus environnementaux Web3, classés selon leur stratégie méthodologique MRV. Les actifs appartenant à des « bridged or pooled credits » désignent les actifs traditionnels produits par des fournisseur·euse·s traditionnel·le·s qui ont été emmenés sur les chaînes. Les « own credits » définissent les actifs qui suivent une méthodologie MRV traditionnelle mais qui ont été émis ou emmenés sur la chaîne par la société Web3 citée. Les actifs « in development » indiquent les actifs en cours de développement selon une méthodologie MRV innovante définie par le projet Web3 lui-même. Enfin, les actifs « launched » désignent les actifs qui ont été développés selon une méthodologie MRV innovante définie par le projet Web3 lui-même et qui sont actuellement négociables sur les chaînes. Les légendes couleurs au bas du schéma représentent les différentes chaînes sur lesquelles les projets sont ou seront déployés, « EVM compatible » signifiant une compatibilité avec l’EVM, et « Non-EVM Compatible » une absence de compatibilité avec l’EVM. Source : Le graphique de Louise Borreani a été publié sous une licence internationale CC BY 4.0 DEED.

Au cours des dernières années, les actifs des processus environnementaux ont été tokenisés en raison des avantages liés à l'amélioration de l'accès au marché, de la transparence, de la provenance, de l'automatisation des paiements et de l'intégration avec les technologies MRV numériques émergentes.[89] Les actifs de processus environnementaux tokenisés se répartissent généralement en deux catégories distinctes : (1) pontés (en anglais : bridged) vers la blockchain depuis le monde traditionnel, ou (2) natifs—émis en tant qu'actifs Web3, ce qui signifie que l'actif a été émis directement sur une blockchain en tant que token, plutôt que sur une base de données privée entièrement contrôlée par un·e acteur·ice centralisé·e tel que Verra. Les exemples incluent des projets Web3 comme Nori[90] ou International Carbon Registry,[91] qui émettent des actifs natifs sur leurs chaînes respectives, soit en utilisant des normes open source telles que les méthodologies MDP de l'ONU,[92] (par exemple International Carbon Registry, Inuk[ 93]) ou en rédigeant des méthodologies personnalisées (par exemple Nori,[94] Regen Network[95]).

Les tokens de processus environnementaux ont commencé à être tokenisés en 2020[96] et leur nombre n’a cessé de croître depuis. En août 2023, plus de 20 millions de compensations carbone avaient été tokenisées via le protocole Toucan, une plate-forme Web3 pour la tokenisation du carbone.[97] L'infrastructure institutionnelle pour la tokenisation s'améliore et les sociétés Web3 telles que Thallo construisent des ponts (en anglais : bridge) bidirectionnels en collaboration avec d'autres registres pour déplacer les actifs de manière bidirectionnelle entre les marchés traditionnels et les marchés ouverts du Web3.[98] Certains projets tels que BetaCarbon tokenisent les compensations de carbone produites par des entités étatiques et pas seulement par le secteur privé—dans ce cas, les unités australiennes de crédit carbone, émises par le Australia’s Clean Energy Regulator.[99]

Différents modèles de tokenisation des crédits carbone. Traduction française : titre : « Modèles de tokenization ». Titre des colonnes (de haut en bas): « type », « token carbon créé par …», « est-ce que le pontage/issuance peut-être effectuée de manière autonome ?», « où est-ce que le crédit existe ? ». Premier rectangle à droite en dessous du titre (puis de haut en bas et de droite à gauche) : « Tokenization native — Crédit carbone créé sur la chaîne en tant que token par le registre », « Registre », « Non », « Seulement sur la chaîne », « Pont Carbone », « Gardien », « Gérant du pont », « Non », « Crédit conventionnel est détenu par le fournisseur/gérant du pont, le crédit sur la chaîne est échangé », « Non-gardien », « Logiciel », « Oui », « Crédit conventionnel est bloqué par le registre-source, le crédit sur la chaîne est échangé ». Légende : « Présentation des différents modèles de crédits carbone ».Source : Graphique sur les modèles de tokenisation des crédits carbone par le protocole Toucan, utilisé dans un cadre fair use.
Différents modèles de tokenisation des crédits carbone. Traduction française : titre : « Modèles de tokenization ». Titre des colonnes (de haut en bas): « type », « token carbon créé par …», « est-ce que le pontage/issuance peut-être effectuée de manière autonome ?», « où est-ce que le crédit existe ? ». Premier rectangle à droite en dessous du titre (puis de haut en bas et de droite à gauche) : « Tokenization native — Crédit carbone créé sur la chaîne en tant que token par le registre », « Registre », « Non », « Seulement sur la chaîne », « Pont Carbone », « Gardien », « Gérant du pont », « Non », « Crédit conventionnel est détenu par le fournisseur/gérant du pont, le crédit sur la chaîne est échangé », « Non-gardien », « Logiciel », « Oui », « Crédit conventionnel est bloqué par le registre-source, le crédit sur la chaîne est échangé ». Légende : « Présentation des différents modèles de crédits carbone ».Source : Graphique sur les modèles de tokenisation des crédits carbone par le protocole Toucan, utilisé dans un cadre fair use.

Comme le souligne un article publié par le protocole Toucan[100], il existe des avantages significatifs à émettre du carbone—et par extension, tous les actifs de processus environnementaux—sous forme de tokens. Ces avantages vont d’une efficacité accrue grâce à la désintermédiation, à une meilleure liquidité, à une détermination plus précise des prix et à l’atténuation de la double comptabilisation. Au-delà des améliorations générales du marché volontaire du carbone (VCM), la tokenisation constitue également de nouvelles fonctionnalités pour les applications natives au Web3 inconcevables auparavant, comme les redevances automatisées pour les développeur·euse·s de projets, où une partie des bénéfices de l'actif est directement transférée au·à la développeur·euse du projet à chaque fois que l'actif est échangé.[101] De même, des propriétés telles que les surestaries de tokens (en anglais : token demurrage) peuvent automatiser le retrait des actifs en s'appuyant sur des méthodologies obsolètes.[102]

Les sections suivantes abordent les compensations de carbone, qui sont généralement divisées en deux catégories principales : les compensations de « suppression » (négatif) représentant du carbone retiré de l’atmosphère, et les compensations de « réduction » (contrefactuelles) qui atténuent les rejets de carbone dans l’atmosphère. Source : Traduction française de la taxonomie des compensations de carbone de l'Université d'Oxford, utilisée dans un cadre fair use.
Les sections suivantes abordent les compensations de carbone, qui sont généralement divisées en deux catégories principales : les compensations de « suppression » (négatif) représentant du carbone retiré de l’atmosphère, et les compensations de « réduction » (contrefactuelles) qui atténuent les rejets de carbone dans l’atmosphère. Source : Traduction française de la taxonomie des compensations de carbone de l'Université d'Oxford, utilisée dans un cadre fair use.

Les compensations négatives de carbone (également appelées « compensations de suppression » ou « d’élimination ») sont comprises dans le contexte de cet ouvrage[103] comme des représentations négociables de CO2 qui a été éliminé de l’atmosphère terrestre sur une période longue ou permanente. Selon une analyse, les compensations de suppression devraient représenter 35 % des compensations de carbone d'ici 2030.[104] Les méthodes d'élimination du carbone sont généralement classées comme étant basées sur la nature, comme la plantation d'arbres, ou sur la technologie, comme le captage et le stockage du carbone ou le captage direct de l'air. Un aperçu complet des technologies utilisées pour séquestrer le carbone et de leur matérialité est disponible via de nombreuses revues universitaires et scientifiques et ne fait pas l'objet de cette section.[105]

Par rapport aux crédits carbone (voir la section ci-dessous) qui sont généralement échangés via un système de plafonnement et d'échange réglementé par l'État, les compensations carbone ont tendance à être échangées via le Voluntary Carbon Market (VCM) (en français : « marché carbone volontaire »). La taille de ce marché se situe entre 1 et 2 milliards de dollars américains, mais il connaît une croissance rapide et devrait dépasser les 500 milliards de dollars d'ici 2050, selon Bloomberg.[106] Les facteurs de demande de compensation carbone comprennent l'atteinte des objectifs nationaux d'émission, le respect des obligations en matière de taxe carbone (par exemple pour des pays comme l'Afrique du Sud ou Singapour) ou l'adoption de mécanismes mondiaux basés sur le marché tels que le Programme de compensation et de réduction du carbone pour l'aviation internationale (CORSIA).[107]

COMPENSATION CARBONE — CONTREFACTUEL

En 2022, une analyse de CarbonPlan a cartographié l’origine des tokens carbone du protocole Toucan, identifiant que bon nombre de leurs compensations carbone d’origine datent d’une année remarquablement datée.Traduction française : axe X : « Millésime le plus précoce ». Axe Y : « Crédits ». Ligne un peu avant 2016 : « Coupure CORSIA ». Légende : « Le nombre de crédits de compensation carbone Verra reliés aux BCT Toucan, regroupés selon la première année signalée associée à chaque projet de compensation. La première année connue d'un projet sert d'indicateur prudent pour sa période de crédit initiale, qui autrement n'est pas suivie dans les données du registre de Verra ; Les projets bénéficiant de crédits avant 2016 ne sont pas éligibles au programme de compensation aéronautique internationale CORSIA. La quasi-totalité (99,9 %) des crédits transférés de Verra aux BCT de Toucan ne sont pas éligibles au programme CORSIA, ce qui indique que Toucan repose presque entièrement sur des crédits qui ont été exclus des marchés de compensation conventionnels pour des raisons de qualité.»
En 2022, une analyse de CarbonPlan a cartographié l’origine des tokens carbone du protocole Toucan, identifiant que bon nombre de leurs compensations carbone d’origine datent d’une année remarquablement datée.Traduction française : axe X : « Millésime le plus précoce ». Axe Y : « Crédits ». Ligne un peu avant 2016 : « Coupure CORSIA ». Légende : « Le nombre de crédits de compensation carbone Verra reliés aux BCT Toucan, regroupés selon la première année signalée associée à chaque projet de compensation. La première année connue d'un projet sert d'indicateur prudent pour sa période de crédit initiale, qui autrement n'est pas suivie dans les données du registre de Verra ; Les projets bénéficiant de crédits avant 2016 ne sont pas éligibles au programme de compensation aéronautique internationale CORSIA. La quasi-totalité (99,9 %) des crédits transférés de Verra aux BCT de Toucan ne sont pas éligibles au programme CORSIA, ce qui indique que Toucan repose presque entièrement sur des crédits qui ont été exclus des marchés de compensation conventionnels pour des raisons de qualité.»

Les compensations carbone contrefactuelles (également appelées « compensations d’évitement ») représentent dans le contexte de ce rapport les émissions de CO2 évitées, c’est-à-dire le CO2 qui aurait été rejeté dans l’atmosphère terrestre sans l’existence du projet financé par l’actif. Selon une analyse du Boston Consulting Group[109], les compensations d'évitement représentent actuellement environ 80 % de l'offre de compensation carbone.[110]

L'Université d'Oxford utilise une catégorisation encore plus fine dans le domaine des compensations carbone, en distinguant deux catégories principales : les émissions évitées ou la réduction des émissions sans stockage de carbone, qui englobe des activités telles que les projets d'énergie renouvelable, les fourneaux plus propres et la réduction du méthane ; et les émissions évitées ou les réductions d'émissions accompagnées d'un stockage de carbone à court ou à longue terme.[111] La temporalité des compensations contrefactuelles est importante, car des périodes de stockage plus longues sont généralement reconnues comme des méthodologies de meilleure qualité.

CRÉDITS CARBONE

Un crédit carbone compris dans le contexte de cet ouvrage est un instrument financier transférable généralement certifié par les autorités de l'État comme représentant un plafond d'émissions. Par conséquent, ils sont généralement négociés sur des marchés gérés par l’État, communément appelés systèmes d’échange de quotas d’émission (ETS). En termes simples, les crédits carbone ETS représentent « le droit » d’émettre du CO2 et ont de la valeur en raison de la rareté de leur émission du côté de l’offre et des exigences du côté de la demande fixées par une autorité de régulation de l’État. Comme le VCM, l'ETS rencontre des problèmes de « sur-créditation, de cycle de vie peu clair, et de doubles dépenses en raison du manque de transparence et de communications interrégionales ».[112]

Le premier système de crédit carbone géré par l'État, le Mécanisme de développement propre (en anglais: Clean Development Mechanism), a été créé il y a 30 ans dans le cadre du Protocole de Kyoto, avec peu d'innovation depuis.[113] Il existe aujourd’hui de nombreux marchés fragmentés, tels que le système européen d’échange de quotas d’émission (EU ETS), le système néo-zélandais d’échange de quotas d’émission (EZ ETS), le Midwest Greenhouse Gas Accord (MGA), ainsi que le programme de plafonnement et d’échange de la Californie. Compte tenu de la fragmentation du marché imposée par l’État, les ETS ont tendance à produire des actifs environnementaux illiquides avec des coûts de transaction de marché élevés. Pour contribuer à atténuer ces problèmes, certains ETS autorisent légalement l’utilisation de compensations carbone pour que les entités puissent respecter leurs obligations de conformité.

Plaidoyer en faveur de systèmes de crédits carbone en chaîne. Source : Traduction française du tableau sur le potentiel de la blockchain pour les éléments de conception ETS par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), utilisé dans un cadre fair use.
Plaidoyer en faveur de systèmes de crédits carbone en chaîne. Source : Traduction française du tableau sur le potentiel de la blockchain pour les éléments de conception ETS par la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), utilisé dans un cadre fair use.

Il est possible de trouver des traces de projets visant à proposer des systèmes de crédits carbone sur la chaîne dès 2016,[114] mais à ce jour, il n’existe aucune mise en œuvre fonctionnelle d’ETS tokenisés réglementés par l’État. De nouvelles propositions impliquant le partenariat d'organisations étatiques apparaissent occasionnellement, comme un accord très médiatisé conclu entre la Fondation Venom et les Émirats arabes unis annoncé cette année.[115] Comme détaillé par Decrypt :

« Le protocole d'accord (MoU) signé entre le ministère du Changement climatique et de l'Environnement (MCCE), le Groupe d'innovation industrielle et la Fondation Venom définit quatre objectifs stratégiques : réduire les émissions, promouvoir l'agriculture durable, améliorer la santé environnementale et conserver la biodiversité. [...] Alors que le protocole d'accord entre Venom et le gouvernement des Émirats arabes unis entre en vigueur, les deux entités… prévoient le… lancement et la mise en œuvre du système national de crédits carbone.[116]

Il reste à voir si les marchés de type ETS se retrouveront sur les chaînes, car il est fort probable que de nombreuses autorités étatiques hésitent à adopter les marchés ouverts offerts par les blockchains publiques malgré leurs avantages. Cela étant dit, des modèles d’arbitrage carbone dans lesquels les institutions achètent des crédits carbone sur les marchés conformes au système de plafonnement et d’échange (en anglais : cap-and-trade) pour les reproduire sous forme de compensations carbone (par exemple, Climate Vault[117]) sont en cours de développement et devraient être tokenisés à l’avenir.

BIODIVERSITÉ, PLASTIQUE, ÉNERGIE ET AUTRES CRÉDITS NON CARBONE

Des actifs non carbonés sont nécessaires pour échapper à l’effet tunnel de la neutralité carbone. Source : Schéma de l’effet tunnel de la neutralité carbone du Wiki du Climat, est publié sous une license CC BY 4.0
Des actifs non carbonés sont nécessaires pour échapper à l’effet tunnel de la neutralité carbone. Source : Schéma de l’effet tunnel de la neutralité carbone du Wiki du Climat, est publié sous une license CC BY 4.0

Ce regroupement hétéroclite d’actifs de processus environnementaux représente des processus non carbonés. Les crédits de biodiversité en sont les plus reconnus aujourd’hui, c’est-à-dire des unités de biodiversité protégées ou restaurées.[118] Il existe des preuves que ces actifs gagnent en légitimité institutionnelle. Une banque suédoise a par exemple récemment acheté un lot de crédits de biodiversité provenant de la forêt d'Orsa Besparingsskog.[119] Récemment, Verra a ouvert le cadre de consultation publique SD VISta Nature, qui « décrit comment les projets peuvent générer des crédits nature, qui représentent l'équivalent d'un hectare de qualité d'augmentation de la biodiversité par rapport à une ligne de base à la suite de l'intervention du projet. »[120] CarbonPulse, une plateforme d'information sur le climat, prévoit que le marché du crédit pour la biodiversité devrait atteindre entre 18 et 43 milliards de dollars de valuation d'ici le milieu du siècle.[121] Selon un récent rapport de Pollination, en septembre 2023, il existe 37 programmes et initiatives volontaires de crédits pour la biodiversité dans le monde, dont 26 sont développés ou en cours de développement par des programmes dirigés par le secteur privé.[122]

D’autres exemples d’actifs non carbonés incluent l’élimination du plastique, la purification de l’eau et les crédits de développement durable. Les registres comme Verra ont des méthodologies qui visent à produire des « crédits carbone améliorés » qui gagnent en valeur grâce à des certifications supplémentaires—par exemple the Climate, Community, and Biodiversity Standard appliqué au Verra Verified Carbon Standard.[123] C'est également le cas sur le Regen Marketplace, où les actifs carbone sont vendus sous forme d'« éco-crédits » et où les avantages supplémentaires liés au carbone sont qualifiés de « co-bénéfices ».[124]

Une poignée de types de crédits non carbone identifiés par l’Open Earth Foundation. Ces crédits peuvent être accordés pour des services rendus, comme dans les programmes basés sur l'effort (en anglais : effort-based-schemes), ou sur la base des résultats obtenus. Source : Traduction française du tableau de l'Open Earth Foundation, publié sous licence internationale CC 4.0.
Une poignée de types de crédits non carbone identifiés par l’Open Earth Foundation. Ces crédits peuvent être accordés pour des services rendus, comme dans les programmes basés sur l'effort (en anglais : effort-based-schemes), ou sur la base des résultats obtenus. Source : Traduction française du tableau de l'Open Earth Foundation, publié sous licence internationale CC 4.0.

De nombreux projets Web3 produisent désormais des tokens de processus environnementaux sans carbone. Des exemples de méthodologies en développement[125] incluent la méthodologie ERA Keystone Species Biodiversity[126] pour les crédits de biodiversité, Fibershed pour le pâturage des moutons,[127] et EthicHub[128] ou Yaupon[129] pour les systèmes agroforestiers de café. Un lot de tokens « Pâturage régénératif des moutons » est déjà accessible sur le Regen Marketplace : des actifs de processus environnementaux représentant un pâturage de moutons en rotation à haute densité et de courte durée au sein des écosystèmes viticoles.[130]

L’un des principaux avantages de mettre ces nouveaux types d’actifs sur les blockchains est l’intégration améliorée avec les technologies MRV. Ceci est particulièrement pertinent compte tenu de leurs méthodologies complexes. Comme indiqué précédemment, les technologies Web3 aident à structurer efficacement les données provenant de différentes sources et à transmettre les données entre différents modèles, formats et technologies. En outre, la programmabilité des actifs permet la conception de nouveaux types de crédits modulaires empilables, tels que les crédits pour les écosystèmes marins proposés par l'Open Earth Foundation.[131]

CERTIFICATS D'ÉNERGIE RENOUVELABLE

Au-delà des actifs naturels, les Certificats d'Énergie Renouvelable (REC) sont des actifs qui représentent la production d'un mégawattheure (MWh) d'électricité via des sources d'énergie renouvelables pour une année donnée. Il s'agit d'un type de certificat d'attribut énergétique (CER), c’est-à-dire un « enregistrement ou garantie transférable lié à la quantité d'énergie consommée par un dispositif de conversion d'énergie dans la production industrielle. »[132] Les CER cherchent à décarboniser la consommation d'électricité en vérifiant les origines d'électricité d’énergies renouvelables, par exemple l’énergie éolienne, hydroélectrique, solaire, géothermique ou les déchets réutilisés.

Envisager la confluence de la technologie blockchain et des REC dévoile un panorama d’innovations et d’efficacités potentielles sur le marché des énergies renouvelables. La blockchain, avec sa décentralisation, sa transparence et sa sécurité, pourrait rationaliser les processus de gestion, de négociation et de conformité des REC, réduisant ainsi les frais administratifs et renforçant l'intégrité du marché des REC. La tokenisation des REC permet à chaque certificat d'être identifié, échangé et suivi de manière unique tout au long de son cycle de vie, autant de besoins essentiels pour un marché en croissance dont les participant·e·s comprennent de nombreux·euses petit·e·s producteur·ice·s , consommateur·ice·s, et prosommateur·ice·s  distribué·e·s. Selon l'Observatoire et le Forum de la blockchain de l'UE, le Web3 améliore les marchés des CER en suivant avec précision et fiabilité chaque unité d'énergie tout au long de son cycle de vie, ainsi que l'émission et le transfert des CER en temps réel au fur et à mesure de la production d'électricité—un bond en avant en termes d'efficacité.[133]

Des exemples de projets délivrant des REC sur les chaînes incluent Reneum et Jasmine Energy. Le premier a développé un marché vendant les REC de 10 projets d'énergie renouvelable existants[134], tandis que le second permet l'échange et la mise en commun de REC tokenisés.[135] L'Energy Web Foundation est une entité à but non lucratif qui a développé l'ensemble d'outils open source Energy Web Origin (EW Origin), qui vise à rationaliser et à améliorer l'approvisionnement en énergies renouvelables dans le respect des normes et cadres réglementaires actuels.[136] Jusqu'à présent, EW Origin a été utilisé par diverses parties prenantes du secteur de l'énergie pour créer des échanges décentralisés pour les REC verts.[137] La Fondation HBAR a défini un cadre pour fournir un enregistrement vérifiable et traçable des REC tokenisés tout au long de leur cycle de vie.[138] De multiples projets exploitent ce cadre en vue de générer et d’amplifier la visibilité d’actifs respectueux de l’environnement. Par exemple, BlockScience, une société de recherche et développement Web3, a utilisé ce cadre pour concevoir une structure de tarification pour les REC et les compensations carbone—Automated Regression Market Makers (ARMM)—un mécanisme de tarification qui regroupe des actifs similaires.[139]

Organigramme de Jasmine Energy, une application décentralisée permettant la tokenisation, la mise en commun et l'échange de REC. Traduction française : titre : « Comment fonctionne Jasmine ? ». En dessous du titre : « Pour les producteurs : produire de l’énergie propre et vendre des certificats d’attribut énergétique (CER) : Recevez un CER sur un registre pris en charge, (2) tokenisez votre CER sur le pont Jasmine, (3) réclamez un token d'attribution énergétique (EAT), (4) déposez EAT dans une pool de référence Jasmine, (5) recevez un token de liquidité Jasmine (JLT ) (6) Echangez votre JLT contre de l’USDC sur un DEX ».De gauche à droite et de haut en bas : « Générateur A : Carburant : Éolien. Millésime : juin 2022. Région : Texas »« Générateur B : Carburant : Éolien offshore. Millésime : janvier 2022. Région : Maine »« Générateur C : Combustible : PV Solaire. Millésime : Août 2023. Région : Brésil »« Pont de Jasmine » : « Lorsqu'un EAT est retiré sur la chaîne, la rédemption est automatiquement déposée auprès des régulateurs ».« EAT Crédit A »« EAT Crédit B »« EAT Crédit C »« Les EAT sont filtrés dans différentes pools »« Pool de EAT éoliens de référence »« Pool de EAT solaires de référence »« Chaque pool de référence utilise son propre JLT »« JLT éolien »« JLT éolien »« JLT solaire »« Les JLT sont des ERC-20 utilisables dans n'importe quelle application DeFi »« Échange distribué »En dessous : « Pour les acteurs climatiques : utiliser les CER pour attribuer les émissions de scope 2(5) Échangez EAT/CER pour attribuer votre consommation d'énergie (4) Recevez EAT en retrait contre le burning (3) Burn JLT dans la pool de référence Jasmine (2) Achetez du JLT avec de l’USDC sur un DEX (1) Commencez avec de l’USDC sur le réseau Polygon »Source : Organigramme de Jasmine Energy, utilisé dans un cadre fair use.
Organigramme de Jasmine Energy, une application décentralisée permettant la tokenisation, la mise en commun et l'échange de REC. Traduction française : titre : « Comment fonctionne Jasmine ? ». En dessous du titre : « Pour les producteurs : produire de l’énergie propre et vendre des certificats d’attribut énergétique (CER) : Recevez un CER sur un registre pris en charge, (2) tokenisez votre CER sur le pont Jasmine, (3) réclamez un token d'attribution énergétique (EAT), (4) déposez EAT dans une pool de référence Jasmine, (5) recevez un token de liquidité Jasmine (JLT ) (6) Echangez votre JLT contre de l’USDC sur un DEX ».De gauche à droite et de haut en bas : « Générateur A : Carburant : Éolien. Millésime : juin 2022. Région : Texas »« Générateur B : Carburant : Éolien offshore. Millésime : janvier 2022. Région : Maine »« Générateur C : Combustible : PV Solaire. Millésime : Août 2023. Région : Brésil »« Pont de Jasmine » : « Lorsqu'un EAT est retiré sur la chaîne, la rédemption est automatiquement déposée auprès des régulateurs ».« EAT Crédit A »« EAT Crédit B »« EAT Crédit C »« Les EAT sont filtrés dans différentes pools »« Pool de EAT éoliens de référence »« Pool de EAT solaires de référence »« Chaque pool de référence utilise son propre JLT »« JLT éolien »« JLT éolien »« JLT solaire »« Les JLT sont des ERC-20 utilisables dans n'importe quelle application DeFi »« Échange distribué »En dessous : « Pour les acteurs climatiques : utiliser les CER pour attribuer les émissions de scope 2(5) Échangez EAT/CER pour attribuer votre consommation d'énergie (4) Recevez EAT en retrait contre le burning (3) Burn JLT dans la pool de référence Jasmine (2) Achetez du JLT avec de l’USDC sur un DEX (1) Commencez avec de l’USDC sur le réseau Polygon »Source : Organigramme de Jasmine Energy, utilisé dans un cadre fair use.

Dette

Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté
Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté

Les instruments de dette sont des actifs que les parties prenantes utilisent pour lever des capitaux ou générer des revenus d'investissement à des fins environnementales.[140] La dette, bien que largement reconnue comme un catalyseur pour attirer les flux de capitaux, engendre un éventail de compromis à multiples facettes. L’effet de levier que la dette introduit dans les bilans institutionnels amplifie la vulnérabilité budgétaire, notamment en amplifiant l’exposition à la volatilité des taux d’intérêt et en imposant des échéanciers de remboursement stricts. Si la dette peut accélérer les investissements cruciaux dans des initiatives environnementales, le caractère obligatoire du service de la dette peut, paradoxalement, détourner des ressources financières d’autres impératifs socio-écologiques essentiels, incitant à un équilibre précaire entre obligations immédiates et durabilité à long terme.

OBLIGATIONS « VERTES », « BLEUES » OU « À IMPACT »

« Les obligations vertes, bleues, sociales, durables et liées au développement durable (GSSS) représentent une nouvelle classe d'actifs qui a gagné du terrain au cours des dernières années sur les marchés développés et qui peut contribuer à combler le déficit de financement des ODD. Même si les obligations GSSS ont augmenté de 600 milliards de dollars en 2021, elles ne représentent encore qu’une fraction du marché obligataire. »

—Fonds vert pour le climat, « Making Blended Finance Work for Nature-Based Solutions »[141]

Les obligations vertes, bleues et à impact peuvent être largement comprises comme des instruments de dette « destinés à lever des fonds pour des projets climatiques et environnementaux ».[142] Ces obligations proviennent d'institutions privées et publiques.[143] Les obligations « bleues » sont généralement liées à des projets environnementaux marins et ont un impact sur toute initiative culturelle ou environnementale bien intentionnée ayant un résultat social ou écologique positif. Traditionnellement, les obligations sont certifiées « vertes » par des institutions indépendantes telles que la Climate Bonds Initiative, ce qui implique une vérification externe et le respect de leur norme et de leur taxonomie pour les obligations climatiques.[144] À l’instar des marchés du carbone, ces types de certifications visent à légitimer la réputation des émetteur·ice·s et à gagner la confiance des investisseur·ice·s en démontrant le respect des normes d’investissement transparent et éthique. En octobre 2023, les législateur·ice·s de l’UE ont approuvé de nouveaux critères pour les entreprises engagées dans l’émission d’obligations vertes.[145] Cette évolution réglementaire vise à atténuer le greenwashing et à lutter contre les affirmations trompeuses d’initiatives apparemment respectueuses du climat.

Le Web3 offre les mêmes avantages généraux aux obligations vertes qu'à d'autres types d'actifs environnementaux tokenisés, à savoir l'amélioration de la validation, de la transparence et de l'auditabilité des données, de l'évolutivité, de l'ouverture des marchés et de l'automatisation des paiements.[146] L’Autorité monétaire de Hong Kong a tokenisé sa première obligation verte au début de 2023, mais n’a pas réussi à réaliser bon nombre de ces avantages en raison de son émission sur une blockchain autorisée.[147] De même, le Crédit Agricole CIB et SEB développent leurs propres d'obligations vertes sur des blockchains autorisées.[148]

Traduction française : titre : « Emission mondiale de dette durable, 2013 - 2020 ». Axe Y : « émission ». Légende (de haut en bas) : « Obligations vertes », « Obligations durables », « Obligations sociales », « Prêts verts », « Prêts liés à la durabilité », « Obligations liées à la durabilité ».Source : L'utilisation de ce graphique par le Groupe de la Banque mondiale a été autorisée par le détenteur du droit d'auteur.
Traduction française : titre : « Emission mondiale de dette durable, 2013 - 2020 ». Axe Y : « émission ». Légende (de haut en bas) : « Obligations vertes », « Obligations durables », « Obligations sociales », « Prêts verts », « Prêts liés à la durabilité », « Obligations liées à la durabilité ».Source : L'utilisation de ce graphique par le Groupe de la Banque mondiale a été autorisée par le détenteur du droit d'auteur.

Même si les obligations sont utiles aux institutions centralisées pour financer de grands projets d’infrastructure, il reste à voir si elles peuvent ou non être exploitées de manière significative par des institutions plus petites et plus avisées au niveau local. Le marché obligataire est fortement réglementé par les États, optimisé pour garantir le remboursement aux investisseur·ice·s.[149] En tant que telles, les obligations dépendent fortement de l’intervention de l’État pour leur émission et leur exécution. Frigg, une plateforme d'émission et de tokenisation d'obligations vertes, dispose d'une liste d'exigences d'émission en 15 points,[150] réaffirmant que les coûts opérationnels fixes pour l'émission d'obligations sont encore élevés et difficiles à gérer pour des institutions plus localisées.

Flux d’émission d’obligations liées au développement durable Frigg basées sur Ethereum. Leur preuve de concept (en anglais : proof-of-concept) a été émise en 2022, avec un « titre de dette numérique suisse de 3 millions de dollars pour refinancer le projet hydroélectrique d’un développeur soutenu par le gouvernement au Rwanda, en Afrique ». Traduction française (de gauche à droite, de haut en bas) : « Input », « intergiciel », « output », « RWA », « origine », « sécurisation », « détention », « établissement », « distribution », « sécurités tokenisées », « logiciel B2B », « contrat intelligent et logiciel back-end », « logiciel B2B », « B2C ».Source : graphique de Philip Berntsen, utilisé dans un cadre fair use.
Flux d’émission d’obligations liées au développement durable Frigg basées sur Ethereum. Leur preuve de concept (en anglais : proof-of-concept) a été émise en 2022, avec un « titre de dette numérique suisse de 3 millions de dollars pour refinancer le projet hydroélectrique d’un développeur soutenu par le gouvernement au Rwanda, en Afrique ». Traduction française (de gauche à droite, de haut en bas) : « Input », « intergiciel », « output », « RWA », « origine », « sécurisation », « détention », « établissement », « distribution », « sécurités tokenisées », « logiciel B2B », « contrat intelligent et logiciel back-end », « logiciel B2B », « B2C ».Source : graphique de Philip Berntsen, utilisé dans un cadre fair use.

Même si les obligations vertes ont un résultat environnemental pour déterminer le paiement, elles peuvent également être vertes dans leur devise libellée, ce qui implique l’existence potentielle de « marchés de la dette verte ». Imaginez : un projet d'infrastructure propre émet des obligations tokenisées qui ne sont remboursables qu'en stablecoins verts (voir ci-dessous la section Monnaies). Ces types de relations patrimoniales contribuent à réduire les externalités négatives générées par la production de monnaie d’État, pour lequel les marchés de la dette sont aujourd’hui utilisés pour financer de nombreuses activités nuisibles à l’environnement, comme les subventions d’un milliard de dollars aux combustibles fossiles accordées en 2022.[152]

FINANCEMENT PAR EMPRUNT D'ACTIFS « VERTS » DANS LE MONDE RÉEL

En dehors des marchés obligataires, il existe divers mécanismes de financement par emprunt qui peuvent être tokenisés, dont certains sont des cas d’utilisation crypto-natifs. Un aperçu de tous les mécanismes de dette non-obligatoire dépasse les limites de cet ouvrage. Au lieu de cela, les auteur·ice·s soulignent deux exemples existants d’émission de dette tirant parti des crypto-actifs verts :

  • ALMA, une société de gestion d'investissement axée dans le secteur du développement durable, a lancé une pool de dettes de 13 millions de dollars—un mécanisme de prêt participatif—sur Goldfinch, un protocole de prêt institutionnel Web3. La pool utilise la dette pour financer les « développeurs de projets de réduction des émissions de carbone » dans les marchés en développement, et va jusqu'à affirmer que la pool elle-même est une « pool DeFi neutre en carbone ».[153]

  • À plus petite échelle, des projets Web3 comme EthicHub modifient la structure du prêt participatif en souscrivant des prêts à de petit·e·s agriculteur·ice·s, généralement biologiques, au moyen de tokens stakés. La « garantie participative sécurise les prêts de la plateforme, créant un système de réduction des risques pour réduire la perception du risque lors de l'investissement dans les petits exploitants agricoles des économies émergentes. »[154] Bien que ce cas d'utilisation particulier soit davantage un gage d'assurance contre le défaut de paiement, EthicHub pourrait à l’avenir émettre des tokens de dette—des « tokens liés à des intérêts… représentant la dette due par le détenteur du token »[155]—correspondant aux actifs empruntés auprès de leurs prêteur·euse·s. Dans tous les cas, les tokens stakés en tant que garantie collective sont un cas d'utilisation crypto-natif qui décentralise le processus de souscription.[156]

Dérivés

Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté
Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté

Les dérivés sont des instruments financiers qui tirent leur valeur d’un crypto-actif vert sous-jacent, présentant des fluctuations de valeur en correspondance avec celui-ci. Les dérivés ont tendance à être réglés dans le futur et servent à diverses fins, de la couverture du risque à la spéculation sur les prix futurs. Les dérivés verts servent d'instruments financiers directement liés à des objectifs durables, facilitant les investissements et les couvertures sur les marchés environnementaux via des produits tels que des forwards (en français : « contrats à terme »), des options ou des contrats de swap. Ces instruments permettent par exemple aux investisseur·ice·s de parier ou de se couvrir contre le prix des crédits d’émissions de carbone ou des contrats liés à la réalisation de projets d’énergies renouvelables.

L'Institut européen des marchés de capitaux, un groupe de réflexion indépendant, estime que les produits dérivés verts ont un rôle clé à jouer dans le financement durable de l'UE, affirmant qu'ils aident à canaliser les capitaux vers des investissements verts, à couvrir les risques, à améliorer l'efficacité du marché et la découverte des prix, et à contribuer à une croissance à long terme.[157] Sur cette base, le Web3 pourrait libérer un nouveau potentiel dans le domaine des dérivés verts en permettant aux petits investisseur·ice·s et aux entreprises de participer au trading de produits dérivés, traditionnellement dominé par de grandes institutions financières opaques. De plus, avec davantage de participant·e·s dans un marché décentralisé, une découverte des prix plus complète et plus transparente pourrait être obtenue, réduisant ainsi l’asymétrie de l’information, réduisant les risques institutionnels associés au système bancaire parallèle et améliorant l’efficacité du marché. Enfin, unifier les acteur·ice·s mondiaux·ale·s au sein de marchés ouverts pour les dérivés verts, notamment les dérivés du carbone, de la biodiversité et des matières premières, permettrait d’atténuer les barrières géographiques et infrastructurelles. Malgré ces potentiels, les auteur·ice·s recommandent d’être sceptiques à l’égard des dérivés verts : compte tenu de leur complexité intrinsèque et de leur haut niveau d’abstraction financière, il reste à voir s’ils ont un niveau élevé d’impact matériel.

Les produits dérivés décentralisés comportent leur propre ensemble de défis institutionnels, tels que la conformité réglementaire. Certains organismes de réglementation comme la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) et la Securities and Exchange Commission (SEC) jouent un rôle central dans la réglementation du commerce des produits dérivés aux États-Unis, avec pour mission de sauvegarder l'intégrité du marché et de protéger les investisseur·ice·s. Compte tenu des récentes actions de la CFTC contre les entités liées aux cryptomonnaies[158], les plates-formes décentralisées Web3 à l'échelle mondiale explorant les produits dérivés de matières premières (par exemple les contrats à terme sur le café) pourraient devoir naviguer avec diligence dans un système complexe de cadres réglementaires nationaux pour garantir le respect des lois existantes et éviter les sanctions.

CARBON FORWARDS ET CARBON FUTURES

Un Carbon Forward est un accord entre deux parties visant à livrer un nombre spécifié d'actifs carbone à un prix prédéterminé dans le futur. Dans le financement climatique traditionnel, ces contrats sont généralement de gré à gré (OTC) et sont personnalisés pour répondre aux besoins et exigences spécifiques des deux parties. Dans le Web3, de nouveaux mécanismes sont utilisés pour accélérer la « finance carbone » (en anglais : carbon finance). Des plates-formes comme SolidWorld tokenisent les transferts de carbone sous la forme de tokens CRISP, qui sont directement liés sur une base 1:1 avec des Carbon Forwards prépayés de qualité supérieure. Actuellement, ce marché offre un rendement attractif de 13,6 %, réparti en 9,5 % en USDC et 4,1 % en CRISP-M, la pool phare de restauration des mangroves.[159] Parallèlement, GreenTrade[160] et Flowcarbon ont lancé leurs propres incursions dans la tokenisation des Carbon Forwards, ce dernier ayant créé une pool d'actifs de 845 000 $ composée de deux tranches de risque pour financer les transferts de carbone.[161]

Flux de fonds de la forwards-pool de dette carbone de FlowCarbon. Traduction française : à gauche : (1) « Paiment pour compensations carbone» proviennent de « développeur » (2) « Financement » (3) « Accord de garde »va à « émetteur » (4) « Compensations » vont à « marché / acheteur » (5) « Financement ».A droite : « (1) Origination : FlowCarbon lancera des projets à partir de son réseau et négociera un VERPA via une combinaison de paiements initiaux et continus. (2) Collatéralisation : Après avoir atteint les seuils d'émission, FlowCarbon attribuera le VERPA à l'émetteur et celui-ci le collatéralisera à son tour via Tinlake ; en échange de la cession, l'émetteur paie FlowCarbon pour le VERPA avec les fonds collectés via les ventes DROP / TIN. (3) Garde : une fois les compensations émises par le développeur, FlowCarbon conservera les compensations au nom de l'émetteur pour la monétisation. (4) Monétisation : FlowCarbon (ou en collaboration avec un autre agent de commercialisation) vendra les compensations générées via le VERPA aux acheteurs et au marché libre en échange d'espèces. (5) Remboursement : les liquidités générées par la vente des compensations sont remboursées aux investisseurs TIN et DROP. »Source : Schéma du résumé de paiement par FlowCarbon, utilisé dans un cadre fair use.
Flux de fonds de la forwards-pool de dette carbone de FlowCarbon. Traduction française : à gauche : (1) « Paiment pour compensations carbone» proviennent de « développeur » (2) « Financement » (3) « Accord de garde »va à « émetteur » (4) « Compensations » vont à « marché / acheteur » (5) « Financement ».A droite : « (1) Origination : FlowCarbon lancera des projets à partir de son réseau et négociera un VERPA via une combinaison de paiements initiaux et continus. (2) Collatéralisation : Après avoir atteint les seuils d'émission, FlowCarbon attribuera le VERPA à l'émetteur et celui-ci le collatéralisera à son tour via Tinlake ; en échange de la cession, l'émetteur paie FlowCarbon pour le VERPA avec les fonds collectés via les ventes DROP / TIN. (3) Garde : une fois les compensations émises par le développeur, FlowCarbon conservera les compensations au nom de l'émetteur pour la monétisation. (4) Monétisation : FlowCarbon (ou en collaboration avec un autre agent de commercialisation) vendra les compensations générées via le VERPA aux acheteurs et au marché libre en échange d'espèces. (5) Remboursement : les liquidités générées par la vente des compensations sont remboursées aux investisseurs TIN et DROP. »Source : Schéma du résumé de paiement par FlowCarbon, utilisé dans un cadre fair use.

Certains risques sont omniprésents dans les Carbon Forwards, tels que les risques liés à l'émission où les actifs carbone préfinancés peuvent ne pas se matérialiser et les risques basés sur le marché où les actifs carbone peuvent ne pas générer suffisamment de revenus pour gérer la dette. Le calendrier présente également un risque si la fourniture d’actifs carbone ou la collecte de revenus ne s’alignent pas sur les calendriers de remboursement de la dette. Malgré ce potentiel, les obstacles réglementaires sous la forme d'exigences de connaissance du client (KYC) ont limité l'accès au marché et freiné l'interopérabilité technique entre les protocoles Web3. Par conséquent, de nombreux produits dérivés comme les forwards qui pourraient stimuler les investissements verts sont étouffés par l’évolution du paysage réglementaire.

Tableau des prix des émissions de Carbon Futures au cours des dernières années. Source : Prix des émissions de Carbon Futures par Investing.com, utilisé dans un cadre fair use.
Tableau des prix des émissions de Carbon Futures au cours des dernières années. Source : Prix des émissions de Carbon Futures par Investing.com, utilisé dans un cadre fair use.

Contrairement aux forwards qui gravitent vers le sur mesure, les contrats futures sont des produits standardisés, contribuant à atténuer le risque de contrepartie et à apporter des liquidités supplémentaires au marché. Les carbon futures sont utilisés depuis longtemps dans la finance traditionnelle pour spéculer ou se protéger contre les prix futurs des quotas de carbone. Par exemple, un accord entre Boston Consulting Group (BCG) et CarbonCapture a permis d'acquérir 40 000 tonnes de services d'élimination du dioxyde de carbone atmosphérique sur cinq ans.[162]

De même, des futures standardisés n'ont pas encore émergé dans le Web3, mais les auteur·ice·s notent l'innovation DeFi des contrats perpétuels comme point de départ pour leur adoption. Les perpétuels se distinguent par leur absence de date d'expiration, offrant aux traders la possibilité de conserver leurs positions indéfiniment. Cela contraste avec les futures traditionnels, qui nécessitent le règlement des comptes à une date d'expiration prédéfinie. Ces instruments tirent leur valeur d’un actif de crypto-monnaie sous-jacent et sont devenus un produit de trading prédominant sur les marchés de crypto-monnaie, depuis 2016.[163] Les mécanismes des contrats perpétuels impliquent un mécanisme de taux de financement intégré pour garantir que le prix du contrat est lié au prix au comptant de l'actif sous-jacent. Ainsi, les traders paient ou reçoivent des fonds périodiquement, garantissant que les contrats perpétuels restent étroitement liés à la valeur réelle de la cryptomonnaie sous-jacente. L’avènement des contrats perpétuels au sein de l’écosystème Web3 ouvre la possibilité aux traders de capitaliser sur les fluctuations des prix des crypto-monnaies avec effet de levier, avec souvent la possibilité de prendre des positions qui représentent plusieurs fois le collatéral du trader.

Un futures perpétuel vert Web3 pourrait être conçu stratégiquement pour s'associer à des efforts respectueux de l'environnement. Il s’agirait d’un dérivé financier vert sur la blockchain sans date d’expiration, dans lequel l’actif sous-jacent, le mécanisme de négociation ou les fonds utilisés sont intrinsèquement liés à des projets écologiques ou durables. Le contrat tirerait sa valeur d’un actif catégoriquement vert, par ex. actifs carbone, REC ou obligations vertes.

DÉRIVÉS DE PROCESSUS ENVIRONNEMENTAUX SANS CARBONE

Une grande variété de dérivés de processus environnementaux attirent progressivement l’attention, comme les dérivés de biodiversité, qui font référence à la financiarisation de mesures de biodiversité telles que la conservation des espèces, les services écosystémiques ou les ressources biologiques. Ils sont souvent formulés pour financer des projets de conservation de la biodiversité, tels que la formation d'habitats ou la protection d'espèces menacées. Des risques peuvent résulter de l’échec des efforts de conservation, et ces dérivés servent de couverture contre des résultats défavorables, permettant aux investisseur·ice·s et aux parties prenantes de gérer leur exposition financière dans les projets de conservation de la biodiversité. Thomas Hahn et al. expliquent que :

« Le gouvernement pourrait acheter un dérivé de biodiversité sur dix ans pour une espèce menacée, dans lequel un montant prédéfini de fonds serait débloqué par le vendeur si la population d’une espèce tombe en dessous d’un seuil. Fondamentalement, le vendeur (émetteur du dérivé) fait le pari que la population de l'espèce ne tombera pas en dessous du seuil, ou qu'il peut prendre des mesures pour empêcher un tel événement dont les coûts se situent dans la fourchette dans laquelle il peut réaliser un profit. compte tenu du produit de l’émission du produit dérivé. »[164]

Dès 2009, des chercheur·euse·s ont proposé « des contrats dérivés modifiés pour vendre le risque d’extinction des espèces aux investisseurs et aux parties prenantes du marché ». À titre d'exemple, Mandel et al. ont proposé un programme de produits dérivés de la biodiversité utilisant le pic à cocarde rouge, une espèce en voie de disparition, aux États-Unis, prouvant qu'un tel instrument financier « pourrait générer de nouveaux financements de manière proactive, aboutir à une conservation plus rentable, aligner les intérêts des parties prenantes et créer des incitations pour les efforts de conservation privés. »[165]

DÉRIVÉS DE MATIÈRES PREMIÈRES

Les dérivés sur matières premières sont des instruments financiers dérivés de matières premières, tels que les produits agricoles (par exemple le blé, le maïs, le soja), les métaux (par exemple l'or, l'argent) et les ressources énergétiques (par exemple le pétrole brut). La dynamique de leurs prix est influencée par divers facteurs, notamment l'offre et la demande industrielles, les événements géopolitiques, la spéculation des investisseur·ice·s et, comme l'illustre ci-dessous l'étude de cas sur les contrats à terme du café, les conditions climatiques.

Les contrats à terme sur le café sont des produits dérivés basés sur le prix futur des grains de café. Les contrats à terme sur le café permettent aux acteur·ice·s du marché, notamment aux producteur·ice·s  de café, aux distributeur·ice·s et aux investisseur·ice·s, d'atténuer les risques en fixant les prix des livraisons ou des ventes futures. Les risques climatiques, tels que la température, les précipitations et l'altitude, affectent profondément les rendements du café. Cette sensibilité expose les producteur·ice·s  et les commerçant·e·s  à des risques importants liés au changement climatique, car des sécheresses prolongées, des gelées inattendues ou des précipitations excessives provoquent de fortes fluctuations de prix. Grâce aux futures, iels se protègent contre les conditions météorologiques défavorables et la volatilité des prix correspondante, préservant ainsi leurs intérêts financiers.

Leurs avantages étant reconnus, les futures restent néanmoins des abstractions financières qui impactent durablement les prix spot mondiaux à travers leur découverte des prix. Aujourd'hui, le prix de référence du café, connu sous le nom de prix C (en anglais : C-price) est principalement côté à partir des prix de la bourse ICE à New York et de la bourse LIFFE à Londres.[166] Comme mentionné plus haut dans ce chapitre, si ces produits à terme standardisés sur le café contribuent à réduire les risques tout au long de la chaîne d’approvisionnement, ils introduisent également un niveau élevé de financiarisation sujet à la manipulation qui risque de mal évaluer la diversité des millésimes de café tout en détournant les revenus des producteur·ice·s  de matières premières vers les intermédiaires. [167]

Les mécanismes de tarification justes et transparents du Web3, tels que les teneurs de marché automatisés, pourraient s'avérer plus efficaces que l'infrastructure de marché existante, aidant ainsi à déterminer un prix C plus juste. La structure intrinsèque du marché P2P de la DeFi présente une opportunité d’améliorer l’inclusivité dans le commerce et la gestion des produits dérivés sur matières premières ; grâce à lui, les agriculteur·ice·s pourraient bloquer directement les prix à l'avance sans intermédiaires centralisés, atténuant ainsi l'asymétrie de l'information tout en élargissant l'accès au marché. Alternativement, plusieurs prix C pourraient être établis sur la base de nouveaux produits à terme cryptographiques, déterminés par la certification du millésime, garantissant que les agriculteur·ice·s soient récompensé·e·s par des prix plus élevés pour la production de café de haute qualité ou pour la gestion de leurs propriétés foncières de manière matériellement durable.

ACCORDS D'ACHAT D'ÉLECTRICITÉ

Sur le marché forward de l'électricité, les contrats d'achat d'électricité (PPA) agissent essentiellement comme des forwards d'électricité à long terme, aidant à se protéger contre la volatilité des prix inhérente aux marchés de l'énergie. L’acheteur·ice, souvent un·e fournisseur·eusse d’électricité ou un·e gros·se consommateur·ice d’électricité, s’engage à acheter une quantité spécifiée d’électricité à un prix prédéterminé, garantissant ainsi un approvisionnement énergétique stable et probablement à un prix compétitif. De tels accords permettent aux consommateur·ice·s , allant des grandes industries aux petites entreprises commerciales, de se procurer de l'électricité directement auprès du·de la producteur·ice. Cela garantit la sécurité énergétique et la stabilité des prix pendant la durée du contrat, qui « s'étend généralement sur 8 à 25 ans ».[168]

Le discours universitaire autour des PPA souligne souvent leur rôle central dans l’atténuation du risque de volatilité des prix et dans la viabilité des projets d’énergie renouvelable en garantissant des revenus stables. Les PPA sont souvent en corrélation avec des projets d'énergie renouvelable, favorisant des relations symbiotiques entre la production d'énergie durable et un approvisionnement énergétique consciencieux. Aujourd'hui, Google utilise des PPA pour œuvrer en faveur d'une utilisation d'énergie 100 % renouvelable, dans le but de garantir que l'électricité consommée corresponde à une production d'énergie renouvelable équivalente.[169] L’incursion du Web3 dans les PPA tokenisés est encore relativement jeune, mais des projets comme Gigawatt commencent à explorer ces types de RWA à l’échelle de l’infrastructure.[170] La tokenisation des PPA a déjà été tentée par WePower (2018), qui tentait de créer un marché pour acheter, vendre et échanger des PPA à long terme.[171]

TOKENS FOURNISSEURS DE LIQUIDITÉ « VERTS »

En principe, tout token de fournisseur de liquidité (token LP) qui contient au moins un crypto-actif vert est en partie vert. Les tokens LP sont produits en ajoutant de la liquidité aux protocoles d'échange décentralisés (DEX) des teneurs de marché à fonction constante, tels que les pools Uniswap. Les tokens LP sont similaires aux contrats d'options à couverture dynamique.[172] L'algorithme d'Uniswap reproduit « le delta négatif des options de vente longues sur les actifs qu'il détient en tant que réserves grâce à une couverture dynamique… en incitant les commerçants externes à ajuster les quantités de réserve en raison des écarts de prix avec d'autres bourses. »[173] Alternativement, les tokens LP peuvent être compris comme « des short straddle[s] perpétuels … swap[s] de risque gamma contre un flux perpétuel de paiements provenant des frais de négociation. »[174] Détenir des tokens LP qui fabriquent des actifs verts sur le marché est donc un dérivé vert propre au Web3.

Alors que de nombreuses solutions sont développées pour remédier aux pertes éphémères—le coût d’opportunité encouru par un LPing (autrement dit liquidity providing, en français : « fourniture de liquidité ») actif au lieu de simplement détenir les actifs d’une pool de liquidités—les auteur·ice·s soulignent le potentiel du concept de gain impermanent (IG). Contrairement aux tokens LP, IG est un dérivé financier innovant dans le contexte de la finance décentralisée.[175] Les dérivés IG ne sont pas des actifs conventionnels, mais visent à couvrir les pertes éphémères subies par les tokens LP. Les dérivés IG fonctionnent avec une limite de temps prédéfinie et un prix de départ spécifié (appelé « prix d'exercice ») pour déterminer les gains et les pertes. Bien que leur proposition de valeur fondamentale concerne la gestion des risques, la pertinence d'IG en tant que « dérivé vert » apparaît lorsque l'on considère son application potentielle pour accroître l'offre de liquidités pour les pools de liquidités verts du Web3.

TOKENS DE RENDEMENT « VERTS »

Le rendement fait référence au retour sur investissement (paiement du taux), exprimé en pourcentage, c'est-à-dire le revenu généré par cet investissement sur une période spécifiée. Les rendements peuvent prendre diverses formes, telles que le rendement de la dette (revenus des prêts) ou le rendement du staking (revenus de la validation de blocs ou de dépôts). Lorsqu’ils sont présentés sous forme d’unités transférables, les rendements deviennent des actifs. Par exemple, les dérivés de rendement, tels que les contrats de rendement futur, sont des contrats financiers dont la valeur est dérivée du rendement futur attendu d'un actif ou d'un instrument financier sous-jacent. Une autre illustration sont les swaps de taux d'intérêt (IRS) : instruments permettant l'échange de deux rendements (généralement un paiement à taux fixe contre un paiement à taux variable).

La différence entre les droits au rendement et les droits à la production est subtile. Les droits de production concernent les droits sur le produit d'un actif—par exemple les droits sur les revenus des fruits produits par l’arbre du patrimoine naturel. L’intérêt, au contraire, est l’utilité d’un actif. En d’autres termes, le rendement n’est pas ce qu’un actif produit, mais ce qu’un actif rapporte. Pour la dette, le rendement est un paiement pour le risque de souscription ; pour le staking, le rendement est un paiement pour la validation des blocs.

Dans la finance traditionnelle, les participant·e·s ont utilisé des contrats de rendement futurs d’une valeur notionnelle supérieure à 400 000 milliards de dollars comme mécanismes de couverture. Ces instruments financiers peuvent revêtir un aspect vert conditionnel, comme le montre la mise en place par Crédit Agricole CIB d'un IRS vert sur les marchés de capitaux de la région Asie-Pacifique, où un « élément vert » a été introduit sur « la couverture dans laquelle le taux fixe préférentiel payé par l'emprunteur était lié à la classification verte de la facilité sous-jacente… [qui] passe au niveau non préférentiel en cas d'échec de la condition verte. »[176]

Dans le paysage en plein essor de la DeFi, des projets comme Pendle Finance visent à intégrer le marché des dérivés de rendement.[177] Pendle Finance permet aux utilisateur·ice·s de tokeniser et d'échanger les rendements futurs de divers protocoles DeFi. L'innovation de Pendle Finance se concentre sur la création d'un marché pour les tokens de rendement standardisés divisés en composants principal et rendement, facilitant leur échange sur un teneur de marché automatisé dédié.

Dans ce contexte, les tokens de rendement verts apparaissent comme une nouvelle innovation combinant instruments de rendement et durabilité environnementale. Les tokens de rendement verts offrent une opportunité de diversification du portefeuille en regroupant des actifs avec des profils risque-rendement potentiellement différents. Les applications concrètes des tokens de rendement verts peuvent inclure le regroupement des intérêts gagnés sur les actifs de dette, d'autres produits dérivés tels que les Carbon Forwards ou les crypto-actifs verts avec une sorte d'utilité de staking.

ASSURANCE PARAMÉTRIQUE

Ce graphique met en évidence la façon dont un dollar évolue généralement dans le secteur financier traditionnel. Le Web3 peut améliorer la transparence des flux de fonds d'assurance, créant ainsi des produits d'assurance plus respectueux de l'environnement. Traduction française : titre : « Comment un dollar se déplace-t-il dans l’industrie de l’assurance ? »De gauche à droite, et de haut en bas : « Client », « Un dollar », « L’assureur », « Obligations », « Actions », « Autres », « Réassureur ».Sources : « Le ratio de sinistralité des réassureurs est d’environ 0.7 (AM Best) ». « Répartition de la manière dont les assureurs investissent (Insurance Information Institute) ». « Moyenne dépensée sur la réassurance (PWC) ». « Retours sur investissements typiques (Fidelity) ».Source : Graphique de Patrick Campbell, utilisé dans un cadre fair use.
Ce graphique met en évidence la façon dont un dollar évolue généralement dans le secteur financier traditionnel. Le Web3 peut améliorer la transparence des flux de fonds d'assurance, créant ainsi des produits d'assurance plus respectueux de l'environnement. Traduction française : titre : « Comment un dollar se déplace-t-il dans l’industrie de l’assurance ? »De gauche à droite, et de haut en bas : « Client », « Un dollar », « L’assureur », « Obligations », « Actions », « Autres », « Réassureur ».Sources : « Le ratio de sinistralité des réassureurs est d’environ 0.7 (AM Best) ». « Répartition de la manière dont les assureurs investissent (Insurance Information Institute) ». « Moyenne dépensée sur la réassurance (PWC) ». « Retours sur investissements typiques (Fidelity) ».Source : Graphique de Patrick Campbell, utilisé dans un cadre fair use.

À la base, les solutions paramétriques représentent une forme distincte de couverture d'assurance.[178] Au lieu de compenser les pertes réellement subies, ces solutions se concentrent sur la probabilité qu’un événement prédéfini se produise. De tels accords impliquent des paiements de souscription déclenchés par des événements futurs spécifiques. En 2018, une assurance paramétrique préservant l'état écologique d'un écosystème naturel (en l'occurrence, de récifs coralliens) a été utilisée pour la première fois.[179] L'assurance activait un paiement lorsque la vitesse des vents de l'ouragan dépassait un seuil défini, permettant aux parties prenantes de restaurer rapidement le récif corallien dans la région touchée, préservant à la fois le récif et la communauté locale qui en dépend.

Pour évoluer, les solutions paramétriques nécessitent un calcul méticuleux du score de risque. Les scores de risque sont formulés en exploitant un large éventail de données pour créer des cartes de scores de risque. Fathom, un exemple d'outil logiciel de cartographie des risques, peut calculer des mesures de risque d'inondation pour n'importe quel endroit pour un large éventail de scénarios climatiques. Fathom fournit une représentation visuelle et quantitative du risque dans différentes zones géographiques et climats, qui est assimilée en aval dans des modèles et des pools d'assurance.[180]

À Omaha, Nebraska, le 22 mars 2019, au milieu d'inondations, Fathom a utilisé une technique d'analyse géospatiale appelée indice de différence d'eau normalisé (NDWI). Cette méthodologie a été mise en œuvre sur l'imagerie PlanetScope, qui comprend quatre bandes spectrales distinctes. Son objectif principal était de discerner et de désigner les caractéristiques des eaux de surface au plus fort des inondations catastrophiques qui ont frappé l’État du Nebraska (à gauche). Par la suite, ces valeurs NDWI dérivées ont été juxtaposées aux modèles informatiques de Fathom. L'objectif principal de cette analyse comparative était de déterminer et de quantifier ce que l'on peut appeler « l'ampleur de l'événement » relatif à chaque bassin hydrographique distinct dans la région affectée. L’ampleur des événements pourrait en principe permettre d’affiner l’automatisation de l’assurance paramétrique. Source : article Fathom Maps from a Planet de Brittany Zajic, utilisé dans un cadre fair use.
À Omaha, Nebraska, le 22 mars 2019, au milieu d'inondations, Fathom a utilisé une technique d'analyse géospatiale appelée indice de différence d'eau normalisé (NDWI). Cette méthodologie a été mise en œuvre sur l'imagerie PlanetScope, qui comprend quatre bandes spectrales distinctes. Son objectif principal était de discerner et de désigner les caractéristiques des eaux de surface au plus fort des inondations catastrophiques qui ont frappé l’État du Nebraska (à gauche). Par la suite, ces valeurs NDWI dérivées ont été juxtaposées aux modèles informatiques de Fathom. L'objectif principal de cette analyse comparative était de déterminer et de quantifier ce que l'on peut appeler « l'ampleur de l'événement » relatif à chaque bassin hydrographique distinct dans la région affectée. L’ampleur des événements pourrait en principe permettre d’affiner l’automatisation de l’assurance paramétrique. Source : article Fathom Maps from a Planet de Brittany Zajic, utilisé dans un cadre fair use.

Essentiellement, les actifs au sein d’une pool d’assurance sont pondérés en fonction de leurs scores de risque respectifs, garantissant ainsi que le risque collectif est correctement équilibré et atténué sur l’ensemble de la pool d’actifs. Le potentiel de ces actifs pondérés en fonction des risques dans le domaine de l’assurance paramétrique est immense. Ils permettent aux assureur·euse·s de concevoir des pools d'actifs avec des profils de risque sur mesure, permettant ainsi la création de produits d'assurance structurés sur mesure qui sont intrinsèquement personnalisables pour différents types de couverture, qu'il s'agisse d'écosystèmes naturels, d'infrastructures ou de communautés locales. La fusion de calculs précis de scores de risque et d’actifs/pools pondérés en fonction des risques stratégiquement équilibrés offre une nouvelle voie, basée sur les données, pour se prémunir contre les risques multiformes posés par notre environnement en évolution dynamique.

Malgré ses marchés ouverts et leur fort potentiel pour faire évoluer l’assurance P2P, l’assurance paramétrique Web3 reste relativement inexplorée. Actuellement, certains modèles d'assurance paramétriques Web3 sont en cours de test, comme celui produit par la collaboration entre Shamba Network,[181] DIVA Protocol,[182] et FortuneConnect.[183]. Les données produites par Shamba « ont été utilisées… pour fournir une assurance à 150 éleveurs kenyans vulnérables à la sécheresse ».[184] Ces projets pilotes, combinés à la taille du marché de l’assurance et à la pénurie d’actifs naturels mal desservis par les produits d’assurance aujourd’hui, offrent un scénario de croissance convaincant pour ce type d’actifs.

Schéma d'un système cryptoéconomique proposé par Curve Labs pour la régénération maritime. Les tokens Posidonia accorderaient des droits de gouvernance sur la trésorie de la DAO—le Regen Fund—dont la mission est de financer la protection et la restauration des prairies et des récifs de Posidonie. Dans ce contexte, les tokens permettent le contrôle et la gouvernance environnementale efficace d'actifs naturels rares et cruciaux. Les tokens de gouvernance seraient simultanément des tokens de données pour les données sur l'état écologique des prairies collectées par la SAN. Soulignant la composabilité du Web3, les tokens pourraient être utilisés comme garantie pour alimenter une monnaie adossée aux prairies et régie par une entité plus grande au niveau territorial : un système d'échange décentralisé (DETS). Alternativement, les tokens Posidonia pourraient être utilisés dans le cadre d'un mécanisme d'assurance paramétrique qui récompense les souscripteur·ice·s (les « shieldminers ») en diffusant des tokens Posidonia. Les paramètres de contrôle intelligents de l'assurance, tels que le taux d'émission des récompenses, pourraient être définis par les détenteur·ice·s du token, ou un·e délégué·e en leur nom. Source : L'utilisation de cette conception de système par Louise Borreani a été autorisée par le détenteur des droits d'auteur.
Schéma d'un système cryptoéconomique proposé par Curve Labs pour la régénération maritime. Les tokens Posidonia accorderaient des droits de gouvernance sur la trésorie de la DAO—le Regen Fund—dont la mission est de financer la protection et la restauration des prairies et des récifs de Posidonie. Dans ce contexte, les tokens permettent le contrôle et la gouvernance environnementale efficace d'actifs naturels rares et cruciaux. Les tokens de gouvernance seraient simultanément des tokens de données pour les données sur l'état écologique des prairies collectées par la SAN. Soulignant la composabilité du Web3, les tokens pourraient être utilisés comme garantie pour alimenter une monnaie adossée aux prairies et régie par une entité plus grande au niveau territorial : un système d'échange décentralisé (DETS). Alternativement, les tokens Posidonia pourraient être utilisés dans le cadre d'un mécanisme d'assurance paramétrique qui récompense les souscripteur·ice·s (les « shieldminers ») en diffusant des tokens Posidonia. Les paramètres de contrôle intelligents de l'assurance, tels que le taux d'émission des récompenses, pourraient être définis par les détenteur·ice·s du token, ou un·e délégué·e en leur nom. Source : L'utilisation de cette conception de système par Louise Borreani a été autorisée par le détenteur des droits d'auteur.

Dans le passé, les auteur·ice·s ont proposé une conception d’assurance paramétrique mutuelle cryptonative spécifique à un écosystème.[185] La conception se concentre sur la sauvegarde des actifs environnementaux au sein d’une économie locale désignée. Le risque est souscrit par des « shieldminers » participant à un contrat partagé de staking d'assurance. La gouvernance du contrat et les processus de réclamation associés seraient adaptés à chaque économie locale, le capital des souscripteur·ice·s étant attiré via les marchés mondiaux de crypto-monnaie, accordant aux « shieldminers » des récompenses périodiques au prorata, et les tokens d'assurance—reçus par les parties prenantes—pourraient être librement négociés sur les marchés secondaires. En ce sens, ces tokens représentent intrinsèquement des actifs verts étant donné qu'ils garantissent un état souhaitable pour un système environnemental particulier—un puissant moyen de conservation et lorsqu’ils sont activés, de restauration.

Monnaie

Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté
Type | Sous-type | Exemples | Dépendance juridique | Matérialité | Nouveauté

La monnaie fait référence à un système monétaire qui, en tant qu’unité de compte, a le potentiel d’être utilisé comme moyen d’échange ou comme réserve de valeur.

MONNAIES VERTES

« Le principe de la finance durable, qui consiste à soutenir DAI avec des garanties durables et alignées sur le climat, est un concept qui a été initialement ratifié par la communauté Maker dans le cadre des 5 principes fondateurs… Ce n'est pas un nouveau concept, c'est une vieille idée dont le temps est venu. Mais ce n’est pas aussi simple que de s’assurer qu’une partie des garanties RWA se trouve dans des actifs solaires et éoliens. Pour lutter sérieusement contre la fin du monde tel que nous le connaissons, la communauté Maker devra véritablement adopter le principe de la finance durable au cœur de la culture de Maker et de toute sa stratégie de garantie.

—Rune Christensen, The Case for Green Money

La monnaie verte (ou « monnaie adossée à la nature » ou « argent propre ») fait référence à une monnaie frappée en exploitant des crypto-actifs verts dans une réserve (alias « collatéral »). Les tokens collatéralisés sont bien établis, avec des exemples marquants, notamment les stablecoins libellés en dollars tels que le DAI de MakerDAO et les alternatives libellées en euros telles que le Mento Euro (cEUR).[186] L’appel à la monnaie verte a gagné du terrain au sein du Web3, illustré par le manifeste « The Case for Clean Money » du fondateur de MakerDAO décrivant comment l’émission du stablecoin DAI pourrait catalyser l’investissement durable mondial.[187]

FLATCOINS « VERTS »

La stabilité des crypto-actifs à faible volatilité (c’est-à-dire stables) dépend de la qualité de leur collatéral. À cette fin, les stablecoins liés à la monnaie fiduciaire (« fiat ») de Mento et MakerDAO sont soutenues par des réserves cryptographiques diversifiées. L’aspect « fiat » de leur référence d’ancrage introduit cependant un risque : le pouvoir de gouvernance pour fixer les propriétés du dollar, telles que l’offre ou les taux d’intérêt, repose entièrement sur les institutions centralisées existantes (c’est-à-dire la Fed).

Pour contrecarrer le risque institutionnel de l'État, Coinbase a promu le concept de flatcoins ajustés à l'inflation, des crypto-actifs à faible volatilité qui visent principalement à : (1) préserver le pouvoir d'achat et (2) se protéger contre les risques du système financier traditionnel.[188] Les Flatcoins représentent un sous-type de monnaie émergente dans lequel la valeur du token servant de collatéral s'ajuste au fil du temps pour refléter les changements de l'inflation. Le « i-DAI » (Inflation Corrected DAI) fictif proposé par la société de conception cryptoéconomique BlockScience illustre ce concept de crypto-actif. La valeur de l'i-DAI serait liée à une période de référence et son prix s'ajusterait de manière dynamique en réponse aux variations de l'inflation, maintenant ainsi le pouvoir d'achat de ses détenteur·ice·s.[189]

À la connaissance des auteur·ice·s, la possibilité de flatcoins liés à des indicateurs environnementaux reste relativement inexplorée. Alors qu’un stablecoin vert adossé à des actifs se concentrerait sur le maintien de la stabilité en garantissant des crypto-actifs verts, un flatcoin vert pourrait aller encore plus loin en ajustant la valeur en fonction d’indicateurs environnementaux en temps réel. Un flatcoin adossé à des actifs naturels pourrait, en principe, atténuer les problèmes d’inflation en étant lié à une ressource dont l’utilité et la valeur réelles sont moins sensibles à l’inflation. Au-delà de l’ajustement à l’inflation, les flatcoins verts pourraient aspirer à ajuster dynamiquement leur valeur en fonction de l’état environnemental d’un territoire délimité. L’émergence ou non de ces types de crypto-actifs verts dépend de leur viabilité globale et de leur résilience aux chocs économiques, et à ce stade du secteur, des recherches supplémentaires sont nécessaires.

TRACERCOINS « VERTS »

Semblable aux flatcoins, ce concept proposé par le protocole Cogito introduit un nouveau sous-type d’actifs appelé tracercoins—des actifs stables caractérisés par leur dépendance à l’égard de mécanismes d’intelligence artificielle (IA) et leur rattachement à des indices non financiers.[190] Le principe fondamental des tracercoins consiste à ancrer leur valeur à des indices complets englobant un spectre d’indicateurs et de mesures non financières. Ces indices vont au-delà du domaine financier conventionnel pour englober des dimensions telles que le progrès social ou environnemental. Par exemple, le protocole Cogito envisage une pièce verte (GCOIN) qui sera expressément conçue pour retracer et refléter la performance d'un indice vert.[191] Cet indice fonctionne comme une mesure quantifiable des progrès sociétaux vers l’objectif ambitieux d’atteindre une économie neutre en carbone. L’objectif du GCOIN est d’établir une corrélation entre sa valeur et cet objectif socioécologiquement bénéfique.

Conception du système de tracercoins Cogito. Source : Traduction en français du schéma de Cogito, utilisé dans un cadre fair use.
Conception du système de tracercoins Cogito. Source : Traduction en français du schéma de Cogito, utilisé dans un cadre fair use.

Les mécanismes opérationnels des tracercoins du protocole Cogito sont ancrés dans des techniques de stabilisation algorithmiques, englobant à la fois l’IA et la conception de mécanismes conventionnels. Pour sauvegarder la stabilité de ses actifs dans diverses circonstances, Cogito propose une réserve pondérée en fonction des risques composée d'actifs liquides et illiquides. La gestion de la réserve est supervisée par un protocole de stabilisation algorithmique (ASP), qui utilise un mélange de techniques d'IA appelées « fonctions de stabilisation autonomes ».[192] L'ASP fonctionne selon des règles dynamiques qui ajustent la réserve pondérée en fonction des risques, ainsi que des ajustements périodiques tels que le minting et le burning de tokens (entre autres mécanismes). Cognito postule que cette approche orchestrée maintient collectivement l’intégrité de l’ancrage souple, garantissant un degré élevé de stabilisation du tracercoin. Malgré ces affirmations, à l’instar des flatcoins, la nouveauté des tracercoins nécessite actuellement des recherches supplémentaires.

Systèmes cryptoéconomiques : vers de nouveaux cas d’usage

Comme mentionné plus tôt dans ce chapitre, l’hyper-composabilité des cryptomonnaies permet la production de systèmes cryptoéconomiques qui transcendent la finance actuelle. Nous présentons ici trois croquis de conception fictifs, dans lesquels des crypto-actifs verts sont utilisés pour illustrer les synergies globales du système.

Assurance paramétrique adossée au carbone

Dans cette conception, de gauche à droite, des compensations carbone sont émises et tokenisées comme représentations des réductions d'émissions de gaz à effet de serre provenant de deux projets environnementaux locaux. Les tokens carbone sont cependant de différents sous-types : l’un est un projet de compensation contrefactuel et l’autre est une compensation négative. Les deux projets sont regroupés dans une pool carbone—une primitive cryptoéconomique popularisée par des projets tels que le protocole Toucan qui « regroupe plusieurs tonnes de carbone tokenisées spécifiques à un projet… en tokens d'indice de carbone plus liquides ».[193]

Une pool de liquidités est établie avec une paire de stablecoins (par exemple USDC) et de tokens d'indice carbone désormais fongibles. Le stablecoin garantit que les tokens LP émis par la pool de liquidité (à ne pas confondre avec la pool carbone) auront tendance à être plus stables qu'une autre paire de crypto-actifs volatiles, comme l'ETH. Ces tokens LP carbone, dans la conception proposée, représentent la propriété de la pool et de ses actifs sous-jacents (la paire compensations carbone tokenisées/stablecoin).

Les détenteur·ice·s de tokens LP carbone peuvent stake leurs tokens dans un contrat de staking d'assurance paramétrique. Les tokens LP carbone mis en jeu agissent comme une forme de garantie, souscrivant une police d'assurance pour un troisième projet environnemental local (en échange d'une subvention de récompense émise par un prestataire institutionnel). Le contrat d’assurance paramétrique déclenche un paiement lorsque des conditions environnementales spécifiques sont remplies, par exemple si une sécheresse survient selon le rapport d’un ou plusieurs oracles climatiques. L'assurance a été mise en place en raison des co-dépendances entre les trois projets : en cas d'échec du projet environnemental 3, cela invaliderait les compensations émises par 1 et 2.

Stablecoin adossé à l’énergie

De gauche à droite, cette esquisse de conception commence par identifier un portefeuille diversifié d'énergies propres composée d’émissions de dettes gouvernementales, telles que des infrastructures solaires ou éoliennes, ainsi qu'une émission d'obligations à impact qui a supporté le développement d'infrastructures sociales. Il regroupe ensuite ces différents investissements RWA dans une réserve qui collatérise un « stablecoin d’énergie propre ». Le rendement obtenu par le panier de la dette est utilisé à des fins de productivité à terme et est investi de nouveau dans des infrastructures d’énergie propre. Grâce à ce système d'achats à terme, le système encourage les investissements dans des projets d'énergie verte, ce qui profite à son tour à l'environnement et favorise l'adoption des énergies renouvelables, tandis que les utilisateur·ice·s des stablecoins peuvent diversifier leurs avoirs fiduciaires en utilisant une monnaie qui s'aligne sur des valeurs durables.

Tracercoin d'eau régi par une DAO

Cette dernière esquisse de conception commence par un réseau de capteurs cyberphysiques et des méthodes manuelles de collecte de données qui collectent des données hydrologiques en temps réel pour certains territoires, telles que la qualité de l'eau, les niveaux, la température et l'utilisation. Les données regroupées sont accessibles via des datatokens et régies par une DAO. Les détenteur·ice·s de datatokens ont des droits de gouvernance au sein de la DAO, qui prend des décisions concernant l'utilisation de la base de données, la répartition de ses revenus monétisés et d'autres initiatives. Les détenteur·ice·s peuvent staker leurs tokens pour recevoir une part des revenus au prorata en fonction de leur quantité de tokens et de la durée de leur mise, encourageant ainsi le long terme. Le système global vise à améliorer la gestion de l’eau et à encourager la contribution des données.

Un système d'IA synthétise la base de données avec des oracles externes qui fournissent des informations fiables et inviolables pour formuler un indice qui encapsule divers aspects de la qualité de l'eau, de la rareté, de l'efficacité de l'utilisation et d'autres mesures cruciales. Cet indice offre une vue panoramique sur l'état des ressources en eau. La valeur d’un Water Tracercoin est liée à cet indice de l’eau généré par l’IA, reflétant l’état réel des ressources en eau. À mesure que l’indice s’ajuste en raison de conditions d’eau plus favorables, telles qu’une meilleure qualité de l’eau ou une diminution de la rareté, la valeur du Tracercoin augmente simultanément, et vice versa.

Les spécificités du fonctionnement de ce tracercoin dépendent de la conception finale du protocole,[194] mais pourraient impliquer des propriétés et des mécanismes tels que :

  • Une valeur initiale du coin : qui correspond à une valeur ou à un niveau spécifique sur l'indice de l'eau. Par exemple, si l’indice de l’eau a une valeur de base de 1 000, le water tracercoin peut initialement être fixé à 1 $ pour chaque point d’indice. Ainsi, si l’indice est de 1 000, le water tracercoin serait évalué à 1 000 $.

  • Réévaluation périodique : pour maintenir le chevillage, une réévaluation périodique est nécessaire. Il s’agit d’évaluer la valeur actuelle de l’indice de l’eau et d’ajuster la valeur du tracercoin en conséquence. Cet ajustement peut être automatisé et peut avoir lieu à intervalles réguliers, par exemple quotidiennement, hebdomadairement ou mensuellement.

  • Mécanisme d’achat et de burning : pour augmenter la valeur du water tracercoin si l'indice de l'eau s'améliore, un mécanisme « d'achat et de burning » pourrait être utilisé. Si l'indice augmente, le protocole peut utiliser les réserves pour racheter des tracercoins sur le marché, réduisant ainsi l'offre et augmentant la valeur du token.

  • Mécanisme de minting : à l'inverse, si l'indice baisse, le protocole peut mint de nouveaux tracercoins et les proposer sur le marché pour maintenir le chevillement. Cette action augmente l’offre, ce qui peut aider à maintenir la valeur du stablecoin.


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