OrgTech et l'entreprise-réseau

Ceci est une traduction de l’article de référence de Jack Laing sur orgtech, les technologies de création de l’entreprise-réseau.

Les géants de l'Internet extraient la valeur économique des plateformes qu'ils ont façonnés. Ils utilisent les réseaux afin de résoudre les inefficiences des marchés, telles que la recherche de contrepartie. Ils réduisent drastiquement les coûts de transaction et de recherche d'information, en contrôlant la mesure et les standards de la qualité, en manipulant les prix de marché, et en agrégeant les fournisseurs. Les algorithmes de recherche et de tri vous dirigent vers les produits, les avis d'autres consommateurs vous permettent de les évaluer, et votre propre comportement alimente de futures recommandations. Ce sont les capacités sous-jacentes à la plupart des plateformes actuelles, depuis Uber jusqu'à Amazon, en passant par l'App Store d'Apple.

Le succès de ces marchés-réseaux est si massif que beaucoup ont prédit la fin prochaine de l'entreprise traditionnelle. La fragmentation de la firme a été annoncée, et nous la constatons déjà au vu de la vague déferlante du travail à la tâche, ou "gig economy". Cette hypothèse est fondée sur la théorie de la firme, qui postule que les entreprises ne sont justifiées que lorsque les transactions de marché sont plus coûteuses que la coordination interne de l'organisation. En employant les nouvelles technologies de l'information pour réduire les coûts de transaction des marchés par rapport aux coûts de coordination internes à la firme, il est théoriquement envisageable de se passer complètement de firmes.

Cependant, ces théories ignorent certaines caractéristiques uniques des firmes ne relèvant pas de l'économie des transactions.

Les organisations ne se réduisent pas à des substituts pour traiter efficacement des transactions lorsque les marchés n'y parviennent pas. Elles possèdent des avantages uniques pour conduire certains types d'activités économiques, selon une logique très différente de celle d'un marché.

Les entreprises ont une capacité incomparable à fédérer des individus autour de buts communs et d'apprentissage partagé. En fait, c'est précisément cette capacité que les organisations traditionnelles doivent mettre en valeur face à la menace de la production en réseau. Les firmes offrent la communauté, la stabilité, et la sécurité. Inversement, les marchés en réseau sont hyper-concurrentiels, érodent les droits des travailleurs et les exposent à l'instabilité de leurs revenus.

Mais les réseaux pourraient-ils être utilisés afin d'optimiser les entreprises, plutôt que les marchés ? Pourrait-on en espérer un remède aux inconvénients des marchés-réseau ?

Pour mettre en oeuvre une coordination efficace, les firmes emploient des managers qui veillent à la présence et à la performance des employés. La croissance des firmes est freinée par les rendements décroissants induits par l'ajout de managers "en raison de l'inefficacité du contrôle centralisé", et rencontre sa limite lorsque les coûts de management excèdent les coûts de transaction du marché.

Cela vous rappelle quelque chose ? C'est bien la réciproque de la théorie de la firme.

Selon la même logique, de nouvelles technologies capables de réduire le coût de supervision, en créant les conditions d'un contrôle décentralisé des activités de production, pourraient conduire à une dé-fragmentation de la firme, un processus inverse à la tendance vers les marchés-réseaux des dernières années, et à l'avènement de nouvelles formes d'entreprises-réseaux.

L'entreprise-réseau est toujours une plateforme du point de vue de son architecture, c'est-à-dire qu'elle est basée sur un protocole commun dont les paramètres facilitent l'interaction entre des agents. Mais elle diffère du marché-réseau dans la mesure où sa programmation a pour but la distribution du travail plutôt que l'échange marchand, l'organisation de la production plutôt que celui de la consommation, et l'optimisation de la coordination plutôt que l'intensification des transactions.

Ce nouveau phénomène est rendu possible par les technologies organisationnelles capables de réduire les coûts de supervision. Ces technologies peuvent automatiser la supervision en enregistrant les activités de l'organisation dans un registre partagé et en décentralisant son contrôle au profit du réseau. En déverrouillant la coordination à grande échelle sans management, elles pourraient ainsi offrir la scalabilité sociale qui fait défaut aux firmes traditionnelles.

Ce ne sont pas que des virtualités. Ce que nous décrivons fait l'objet d'un des domaines d'applications les plus enthousiasmants de la technologie blockchain : les DAOs ("Decentralized Autonomous Organizations", ou "organisations autonomes décentralisées").

La DAO est une incarnation du modèle de l'entreprise-réseau. Elle a été décrite comme une structure organisationnelle dont le centre est automatisé et les extrémités sont humaines. Une telle organisation est pilotée par des smart contracts dont beaucoup pensent qu'ils peuvent prendre en charge la gouvernance des firmes, juridiquement conçues comme une structure de relations entre agents ("nexus of contracts"). C'est la raison pour laquelle on a pu envisager que les blockchains pourraient même dissoudre l'entreprise traditionnelle, en rendant poreuse et fluide sa périphérie et en décentralisant l'activité managériale.

Le concept de DAO a connu un démarrage mouvementé et malheureux en 2016. Depuis, le secteur des technologies organisationnelles a mûri et promet de s'épanouir en 2019 et au-delà.

Explorons-le ensemble.

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