En dehors des accords de liquidité privés, il est souvent difficile de trouver des stratégies réellement scalables en DeFi. Les options se limitent principalement au farming de points, aux airdrops rétroactifs, aux stratégies delta-neutres sur les funding rates des contrats perpétuels, ou encore aux stratégies straddle/strangle et au delta-hedging sur le marché des options, qui reste cependant peu développé on-chain.
Vous avez probablement déjà entendu parler du looping, une pratique qui s’est largement répandue avec l’essor des actifs dit yield-bearing, tels que le wstETH. Mais cette stratégie est-elle vraiment rentable ? Quels sont les critères les plus importants à surveiller ?
Cet article vous fournit toutes les clés pour comprendre le looping d’actifs corrélés : comment aborder cette approche, les résultats issus de backtests sur différentes stratégies, ainsi que la gestion des risques associés. Nous avons également inclus une section pour vous aider à résoudre le dilemme : vaut-il mieux farmer des points ou se concentrer sur le real yield ?
Types de Money Markets et leaders du marché
Le wstETH et son leverage market
Quels sont les paramètres les plus importants ?
Backtesting ; Aave, Morpho, Fluid, Spark
Cas d’étude ; farming $SPARK vs leverage wstETH
Réflexions et conclusion
Les 5 dernières années de DeFi ont vu émerger de nombreuses tentatives de protocoles de prêts et emprunts décentralisés. Parmi eux, il est important de souligner la différence entre un Money Market où il est possible d’emprunter un asset disponible au sein du protocole contre un autre actif collatéralisé, et un CDP (collateral debt position) où l’emprunt se fait via le mint du stablecoin natif au protocole.
Les CDPs peuvent offrir plus de stabilité avec un taux d’emprunt fixe, tandis que les MMs offrent plus de flexibilité sur la conception de stratégie. L’étendu de cet article s’arrête aux MMs, qui sont taillés pour la création de stratégies de levier sur les yield-bearing assets.
Qu’est-ce qui les différencie ? Modèle du taux d’intérêt, liquidation et type de collatéraux.
Le modèle du taux d’intérêt est crucial ; il est considéré efficace lorsque le taux optimal est atteint. Dans le cas contraire, une inefficacité apparaît, entraînant une liquidité dormante qui dilue le rendement, un phénomène amplifié dans les marchés croisés.
Le jump rate model ajuste dynamiquement les taux d'intérêts en fonction de l'utilisation de la liquidité, faisant “jump” le taux dès que le seuil optimal est atteint. De cette façon, il permet de prévenir contre les crises de liquidité lorsque près de 100% de l’offre est empruntée ; c’est le modèle le plus répandu et utilisé notamment par Aave et Morpho. La prévisibilité de ce modèle rend l’UX meilleure d’un point de vue utilisateur, mais donne également un véritable marché aux arbitragistes.
Les liquidations doivent être efficaces pour assurer la solvabilité du protocole. Divers mécanismes d’incitations à liquider ont été testés, comme le modèle de dutch auction de Spark par exemple. Les liquidations peuvent être graduelles ou totales, et certains protocoles comme Curve Lend ont introduit la notion de “dé-liquidation” offrant une grande souplesse aux emprunteurs.
La plupart des MMs s’appuient sur des oracles externes pour déterminer quand le prêt est soumis à une liquidation. Certains MMs intègrent des mécanismes libérant le protocole de cette dépendance aux oracles, mais sont plus complexes à prendre en main, et réservés aux utilisateurs capables de surveiller et de réagir habilement à la dynamique du marché.
Le type de collatéral disponible dépend de la nature du protocole lui-même. On distingue les marchés isolés et les marchés croisés / multi-assets. Les marchés isolés définissent un collatéral spécifique sur lequel il est possible d’emprunter un actif défini, ayant ses propres paramètres ; c’est le cas de Fraxlend. Inversement, dans les marchés multi-assets, les utilisateurs interagissent avec de nombreuses contreparties et nombreux actifs ; c’est le cas d’Aave v3.
Les MMs croisés comme Aave font face à un problème d'extensibilité car ajouter un nouvel actif augmente significativement les risques de leurs multi-assets pools. Ces protocoles nécessitent donc divers outils de gestion des risques tels que des plafonds d’offre/d’emprunt, une LTV conservatrice et de lourdes pénalités de liquidation pour gérer ces risques additifs. Dans le même temps, les pools de prêts isolés offrent plus de flexibilité dans la sélection des actifs, mais souffrent d'une fragmentation de la liquidité et sont inefficaces car la réhypothécation est sévèrement limitée.
On voit apparaître depuis la fin d’année 2023 les protocoles de lending dit “modulaires”, qui permettent d’intégrer une plus large base d’actifs tout en donnant plus de flexibilité aux utilisateurs en termes de gestion de risque.
À ce jour, Aave lead de loin le marché grâce à sa robustesse prouvée au fil des années. Ce multi-pools lending protocol offre une flexibilité très appréciée par les utilisateurs, qui peuvent utiliser efficacement des actifs avec le e-Mode ou encore le marché isolé de Lido, disposant d’une LLTV à 95,50%, très agressive et compétitive.
Les Money Markets, contrairement aux CDP, permettent la réalisation de stratégie de looping sur l’ETH en s’appuyant sur le yield natif du stETH.
Brièvement, une stratégie de looping consiste à emprunter des actifs en utilisant des fonds déposés comme garantie, puis à réinvestir ces actifs empruntés pour les déposer à nouveau comme garantie, permettant ainsi d’emprunter davantage. Ce processus est répété pour maximiser les rendements, mais il augmente également les risques.
Une telle stratégie appliquée en utilisant un yield-bearing asset en collatéral permet d’amplifier le rendement sous certaines conditions.
Pour éviter la liquidation en cas de depeg du stETH, il est impératif de prêter attention aux modalités de liquidation, au pricing des assets du protocole de lending utilisé mais avant tout, à la liquidité de l’actif utilisé.
Majoritairement présentes sur Curve, les pools du stETH totalisent 375M de TVL avec plus de 92 000 stETH disponibles en exit liquidity. C’est de loin le LST/LRT le plus liquide du marché, sur le réseau Ethereum.
Au 15 Septembre 2024, 28,50% des stETH sont placés en collatéraux, dont Aave v3 qui mène ce marché avec 45% du market share.
Globalement, il semblerait que le modèle de multi-assets pool qu’Aave utilise est le plus apprécié car Aave v3 / Spark / Compound réunissent 78% du marché total.
On pourrait croire que ce type de protocoles tend à attirer plus de capitaux, même si cela ne peut être généralisé à des stratégies de looping.
Avant de nous pencher sur le backtesting de stratégies à travers ces plateformes, comprenons l’impact et l'importance de chacun de ces paramétres.
Nous en avons déjà parlé précédemment dans l’article Staking d’éther et LSD: un yield “Risk-Free” en DeFi ? - Partie 2, mais revenons plus en détail.
Voici les paramètres à considérer ;
Dépôt initial, qui va dégrader le rendement au fur et à mesure que le gas monte. Inversement, la scalabilité peut vite être limitée par la liquidité disponible sur le marché
Yield natif, en l'occurrence celui du stETH
Le taux d’intérêt
La LTV
Le gas (mainnet)
Nous mettons à disposition un calculateur Desmos pour que vous fassiez varier vous-même ces paramètres.
Ce que nous pouvons en conclure :
La LTV semble être le paramètre qui a le plus d’impact sur le rendement final
Lorsque le gas devient important, le dépôt initial doit être suffisamment important également
La capacité à maintenir un taux d’intérêt bas est la clefs pour un protocole voulant maximiser ce marché
Ce 2ème calculateur Desmos met en évidence le rendement à travers le temps d’une stratégie de looping. Ce qu’on peut en tirer :
Plus le gas est haut, plus il faudra de temps pour être BE
Il en est de même pour le nombre de loop
À partir d’un certain montant initial, vous êtes en profits net dès le jour 1
Ces simulations sont très théoriques et ne prennent pas en compte les aléas du marché comme la variation des taux et du gas, ou même la liquidité disponible qui peut vite mettre à mal une stratégie initialement rentable.
De même, il est évident qu’aller au-delà de 20 loops est totalement impensable, de part la complexité et les risques de ça représente, même si les loops sont exécutés via des flashloans.
Quel est le nombre de loop optimal ? Il n’y a pas de règle. Ceci dépend du marché utilisé, de votre size de départ et de votre appétence au risque.
Nous allons maintenant backtester des stratégies sur divers MMs.
Nous avons sélectionné ces quatre protocoles, car ils offrent la liquidité la plus profonde et des conditions de marché qui semblent être particulièrement favorables pour le looping du wstETH.
La principale idée de cet article est de voir comment on peut mettre en œuvre des stratégies de looping avec un size de départ de 1M de $.
Aave, LLTV = 95% (eMode),
Spark , LLTV = 94% (eMode),
Fluid, LLTV = 97% (Ethereum)
Morpho, LLTV = 94,50% (Ethereum)
Morpho, LLTV = 96,50% (Ethereum)
Morpho, LLTV = 94,50% (Ethereum)
Nous avons défini comme date de départ pour les simulations le 1er Avril 2024, date à laquelle ces protocoles ont eu une maturité suffisante en termes de liquidité. La LTV prise est à -3% de la LLTV, le nombre de loop est de 7. Ces simulation exclues toutes incentives, nous nous intéressons seulement au rendement réel.
Chaque marché est présenté avec deux graphiques. Le premier montre l'historique des taux et le rendement du stETH. Le second montre l’évolution du rendement annualisé ainsi que le ROI. L’ensemble des backtesting ont été fait sur Ethereum.
Voici les résultats que nous obtenons :
Aave, LLTV = 95% (eMode)
Spark , LLTV = 94% (eMode)
Fluid, LLTV = 97%
Morpho, LLTV = 94,50% (Ethereum)
Morpho, LLTV = 96,50% (Ethereum)
Morpho, LLTV = 94,50% (Ethereum)
Bien que le taux d’emprunt sur Aave et Spark soit constamment inférieur au rendement natif, le taux d’intérêt reste extrêmement bas, en raison de la nature même de ces protocoles multi-pools.
En l’absence de rehypothecation, Morpho reste largement limité, car la stratégie de looping ne profite pas du rendement généré par le lending. Par conséquent, l’amplification du yield via effet de levier dépend principalement du rendement natif du stETH et du taux d’emprunt, qui est généralement trop bas.
Nous observons que sur Fluid, les deux taux évoluent de manière très corrélée même so le delta entre eux reste un peu élevé ce qui réduit l'efficacité du rendement obtenu via le looping. Soulignons que Fluid est le protocole le plus jeune ici, ce qui peut lui être défavorable en terme de liquidité.
Globalement, nous constatons que le looping sans incentives n’est pas adapté aux positions de grande envergure, et les stratégies backtestées peinent à dépasser un APR de 10%. Fluid parvient à proposer un produit intéressant pour ce marché du looping, mais la liquidité reste encore précoce.
Ceci nous pousse à cette question ; faut-il se tourner vers le farming ?
Le farming de points ou le pré-mining est-il plus avantageux que le rendement réel ? C'est une question que tout adepte de la DeFi se pose lorsqu'une nouvelle opportunité de points apparaît, et nous allons y répondre dans cette section.
Il est essentiel de préciser que cette étude se concentre uniquement sur le protocole Spark, car c'est le seul Money Market disposant d'une TVL conséquente avec un pré-mining en cours. Les conclusions tirées ici ne peuvent donc pas être généralisées et doivent être adaptées au cas par cas pour les autres protocoles étudiés.
Spark à lancé en août 2023 sa campagne de pré-mining de $SPARK avec une idée bien précise : se servir du marché ETH/wstETH pour boostrap sa TVL.
Vu et revu, c’est encore une idée de Degen & Wise Whale qui cohabitent sous un même écosystème. Les whales cherchant un rendement stable vont se tourner vers des actifs sûrs avec des données prévisibles ; en l'occurrence faire du levier sur le yield wstETH. Pour maintenir cette stratégie attractive, le taux d’emprunt du ETH doit rester bas. C’est en suivant cette idée que Spark a décidé d’incentive seulement deux marchés : le prêt de ETH et l’emprunt du DAI. De cette façon, un marché plus degen est créé où les utilisateurs peuvent choisir de se focaliser sur le prêt d’ETH et l’emprunt du DAI, en s’intéressant essentiellement aux point promis par le protocole. Cette approche permet d’accroître la liquidité du ETH et ainsi satisfaire ceux cherchant à loop le wstETH.
Alors, le mining du $SPARK prévaut-il sur le levier du yield wstETH ?
Décortiquons cela.
Comparons Spark avec ses 3 plus gros concurrents ;
Mettons en perspective les metrics de Spark par rapport aux autres protocoles :
Il y a quelques caractéristiques supplémentaires à avoir en tête ;
Spark est un fork d’Aave v3 et reverse 10% des revenus à ce dernier
La liquidité est aussi apportée par Maker DAO via le D3M
Instadapp est le plus gros holder de $SPARK
La tokenomic finale n’a pas encore été divulguée pour les SubDAOs
Spark est une des 5 phases du endgame, il s’agit donc d’un sous-projet
En suivant ces données, il semble juste d’estimer la FDV dans une fourchette comprise 500M & 1900M. Nous prendrons comme référence 850M de FDV.
L’offre totale sera de 4,6B de $SPARK. 4B sont alloués à la “Genesis Emission” tandis que le 0,6B restant iront à la “Workforce Bonus Pool”
En se basant sur ces nombres, nous estimons le prix du $SPARK à 0,185$.
Deux saisons de pré-mining ont eu lieu :
S1 : 20 août 2023 au 20 mai 2024, 60M de $SPARK, 80% pour l’emprunt du DAI et 20% pour le dépôt d’ETH
S2 : 6,66M / mois , à partir du 20 mai 2024, 6,6M de $SPARK / mois, 80% pour l’emprunt du DAI et 20% pour le dépôt d’ETH
Pré-requis :
La stratégie de farming consiste à déposer 1000 ETH et emprunter du DAI, ces DAI sont ensuite placés dans le saving rate (sDAI).
Pour des questions de simplicité, la LTV est réajustée en permanence pour maintenir 69% LTV (-20% DD) ; ceci tend à sur-optimiser le rendement, mais le résultat obtenu reste proche de la réalité applicable.
La stratégie est simulée sur un total de 386 jours ; entre le 20/08/2023 et le 05/09/2024.
Les frais de gaz ne sont pas pris en compte, peu impactant sur cette phase de marché et compte tenu de la taille de la position initiale
Bien que les incentives soient initialement très intéressantes, la position est vite diluée. Pour avoir un ordre de grandeur en tête, le rendement annualisé tient au dessus de 10% pendant 2 mois seulement.
Est-ce parce que nous avons sous estimé la FDV ? Pas vraiment. Même avec une FDV exagérée de 1940M $, le rendement annualisé passe sous les 10% après 3 mois de farming.
Comparons maintenant les deux stratégies ; points VS real yield.
Pour ce cas d’étude, nous avons pris 1000 ETH comme position initiale, 10 loops, une LTV à 91% et une FDV de 850M$.
Le yield du farming se stabilise autour du pauvre niveau des 3% tandis que le looping plafonne à 10%.
Dans les deux cas, la stratégie n’est pas rentable et encore moins pour le farming de $SPARK car elle superforme à peine le yield natif du stETH.
Est-ce un problème de taille et de scalabilité ? Pas vraiment, même en réduisant la size à 100k, nous avons des résultats similaires.
Il est essentiel de comprendre l'impact des différents paramètres sur une stratégie de looping, qui, lorsque les conditions sont optimales, peut s'avérer rentable. La force de ce type de montage réside dans le fait qu'il ne vous expose qu'à des actifs et protocoles de tier 1.
Contango permet de s’exposer rapidement sur des stratégies de looping, et ainsi extraire les incentives éphémères sur des stratégies pas toujours initialement rentables. En prêtant vos actifs sur un Money Market multi-pools, vous acceptez d’être exposé à l’ensemble des collatéraux. De même, certains MM s’appuient sur des oracles externes pour pricer les actifs. La faille d’une oracle est à considérer, mais plus encore ; vous devez consciencieusement savoir comment l’oracle définit le prix et si elle adopte une approche protectrice vis-à-vis des depeg. Mettre une position en levier manuellement est fastidieux et coûteux. Ne pas utiliser des produits adaptés comme DeFiSaver et les flashloans dégraderait nettement l’intérêt de cette stratégie.
La rigueur est requise non seulement pour l'exécution, mais aussi pour le suivi et le monitoring constant de la position. Il est impératif de surveiller la liquidité du marché, la solvabilité du protocole de prêt ainsi que la custody des différents protocoles impliqués, tout en organisant cela dans un système d'alerte efficace. Une bonne maîtrise de ces aspects ajoute un niveau de sécurité considérable, et cela peut être facilité par des sociétés spécialisées comme Hypernative, avec laquelle nous collaborons.
Les backtesting réalisés montrent qu'une stratégie de leverage bien calibrée peut surpasser les incentives de pré-mining comme ceux de $SPARK, soulignant l'importance de choisir méticuleusement les protocoles à utiliser.
À Propos de Redacted Labs :
Redacted labs est un DeFi desk offrant des services sur mesure aux professionnels souhaitant tirer profit de la finance décentralisée avec une gestion institutionnelle des risques.
Notre objectif chez Redacted Labs est d'offrir à nos clients l'expérience de la finance décentralisée tout en contrôlant les risques, en proposant un service de gestion de fonds adapté à leurs services. Nous croyons fermement que la finance décentralisée est l'avenir et notre expertise et notre expérience nous permettent de répondre aux besoins croissants des entreprises qui cherchent à investir dans ce domaine.
Clause de non-responsabilité :
Cet article est publié à titre d'information uniquement et ne constitue pas un avis juridique, commercial ou d'investissement. Ne fondez pas vos décisions d'investissement sur cet article et ne le considérez pas comme un guide comptable, juridique ou fiscal. La mention d'actifs ou de titres spécifiques est faite à titre d'exemple et non d'approbation. Les opinions de l'auteur peuvent ne pas refléter celles de ses affiliations et sont susceptibles d'être modifiées sans mise à jour.