Nous arrivons à la conclusion de notre série d'analyses consacrée aux stablecoins, avec un aperçu approfondi des stablecoins les plus robustes du marché. Cette partie finale explorera en détail leurs caractéristiques distinctives, les différences qui les séparent, ainsi que leurs implications pour les investisseurs avertis.
Les approches de conception et de gestion des stablecoins diffèrent sensiblement, impactant leur utilité, leur sécurité, et leur pertinence pour diverses stratégies d’investissement. Tirons parti des concepts explorés dans notre article précédent, "Stablecoins : Critères d'évaluation et innovations récentes - Partie 2", pour approfondir notre compréhension de ces actifs numériques.
Ligne directrice :
Deux cheatsheets pour tout saisir en 2 minutes
Mécanismes de peg et stabilité
Régulation et transparence
Intégrations et composabilité DeFi
Réflexions et conclusion
Globalement, il apparaît que la majorité des stablecoins adossés à des monnaies fiduciaires sont handicapés par la faible qualité de leur réseau secondaire (on-chain).
Parmi eux, le Tether (USDT), malgré sa capitalisation dominante, est l’actif le plus sujet à controverses. À l'inverse, l'USDC se distingue par une réputation presque irréprochable. Mais cette perception resterait-elle inchangée si l'USDM ou le PYUSD bénéficiaient d'une activité on-chain plus robuste ?
En ce qui concerne les stablecoins, la concurrence reste limitée au moment de la rédaction de ce rapport. Toutefois, nous intégrerons très prochainement les nouveaux stablecoins présentés dans le deuxième article de cette série.
Une question demeure : est-ce la nature semi-décentralisée du DAI ou son ancienneté qui explique sa résilience remarquable ?
La première distinction entre les stablecoins réside dans la nature de leurs réserves et la manière dont ils maintiennent leur parité avec le dollar, ou, une autre monnaie fiduciaire.
Sa particularité réside dans son adossement à une diversité d’actifs, diversifiant ainsi les risques d’exposition mais rendant le produit plus complexe. Le ratio de collatéralisation global du DAI est de 134%, qui est cruciale pour absorber la volatilité de certains de ces actifs sous-jacents.
Collatéralisation du DAI :
11 % sont adossés à des stablecoins fiat via le PSM, en quasi totalité l'USDC
20 % sont adossés à des crypto-actifs volatils comme l'ETH / wstETH, ainsi que le wBTC
38 % des réserves sont des RWAs, principalement des T-Bills détenus via des partenaires tels que Coinbase, BlockTower et Clydesdale
31 % des réserves sont d'autres actifs crypto diversifiés (D3M)
La stabilité du DAI repose sur la capacité du protocole Spark à gérer efficacement les liquidations des actifs volatils via des ductch auctions, ainsi que sur la bonne santé de son Peg Stability Module. Le DAI est également partiellement collatéralisé par les modules D3M de Spark et Morpho, couplés à l’USDe, ce qui lie légèrement la résilience du peg du DAI à celle de l’USDe.
Bien que le PSM soit crucial pour maintenir le peg du DAI, il soulève des préoccupations quant à la véritable décentralisation du système, étant donné que 70 % du DAI est adossé à des actifs centralisés.
Remarque : Maker DAO à récemment transité son DAI vers le NST
Grâce au protocole Liquity, qui est immuable et dont le code est open-source, il est possible d'emprunter des LUSD en utilisant de l'ETH comme collatéral, avec un ratio de collatéralisation minimum de 110 %. Cependant, ce chiffre reste largement théorique.
Bien que Liquity offre l'un des taux de collatéralisation les plus bas de l'écosystème et n'impose aucun frais d'intérêt, le maintien du hard peg nécessite de sacrifier les ETH collatéralisés dans le protocole pour racheter des LUSD en dessous de 1 $. Ces ETH proviennent des Troves les moins capitalisés, qui sont eux-mêmes fournis par les utilisateurs.
Ce mécanisme crée un cercle vicieux qui dégrade l'UX tout en réduisant la TVL du protocole pour garantir la stabilité du LUSD. En l'absence d'une forte demande sur le marché secondaire, le LUSD risque de perdre davantage de sa collatéralisation. Dans un contexte de concurrence féroce, maintenir un ratio de collatéralisation à 500 % est-il vraiment attractif ?
Ce modèle de stabilité fonctionne, mais il entraîne des coûts considérables.
La condition indispensable pour maintenir le peg d’un stablecoin centralisé repose sur la capacité des utilisateurs et des arbitragistes à accéder à une rédemption efficace.
Cette capacité dépend de plusieurs facteurs :
Collatéralisation suffisante
Assets liquides disponibles
Conditions de rédemption (pour l’utilisateur)
Conditions des partenaires bancaires
Il est notable que seul l’USDT s’appuie partiellement sur des actifs moins liquides, dont les détails ne sont pas divulgués.
Les T-Bills et les Overnight Repos’ sont considérés comme des actifs hautement liquides, notamment par la NYDFS, et peuvent être vendus rapidement. Pour les Money Market Funds, la liquidité dépend de la nature des actifs sous-jacents. Dans le cas de l’USDM, il s'agit de T-Bills gérés par BlackRock, donc extrêmement liquides également.
Tether est la seule société qui limite l’accès à la rédemption. Alors que d'autres entreprises permettent aux utilisateurs vérifiés par KYC de racheter leurs stablecoins sous un court délai (souvent 2 jours ouvrés) et sans frais, Tether impose un montant minimum de 100 000 $ et des frais de 0,1 %. Cette politique est contre-productive pour les arbitragistes ordinaires et peu attrayante pour les utilisateurs en général.
Ainsi, le maintien du peg d'un stablecoin repose sur une combinaison d'un processus de rédemption efficace, facilité par des partenariats clés, et de la confiance que les utilisateurs accordent à l'actif. Un dépeg pourrait facilement survenir si les déposants et auditeurs sont peu fiables, si les audits sont rares ou inexistants, si le processus de rédemption est lent, ou si la liquidité on-chain est fragile.
La régulation est un facteur critique pour les investisseurs institutionnels et les utilisateurs cherchant une sécurité accrue dans un environnement crypto souvent perçu comme risqué.
Parmi les premiers critères mentionnés dans le tableau récapitulatif des stablecoins fiat-backed, nous mentionnons le pays d’incorporation ainsi que la licence / cadre réglementaire auquel est régit l’entité émettrice, qui est un critère clef à avoir en tête. Quelle est la différence pour un émetteur de stablecoin ?
La FinCEN (Financial Crimes Enforcement Network) impose des exigences générales de conformité au niveau fédéral, mais celles-ci sont principalement axées sur la surveillance des activités criminelles et non sur la solvabilité ou la protection des consommateurs
Le NYDFS (New York State Department of Financial Services) est beaucoup plus exigeant avec sa BitLicense, imposant des normes strictes de gestion des réserves, des audits financiers, et de cybersécurité pour assurer la solvabilité des émetteurs de stablecoins
La BMA (Bermuda Monetary Authority) aux Bermudes, bien que perçue comme une juridiction plus flexible, impose également des exigences rigoureuses en matière de gestion des réserves et de transparence, mais avec un cadre réglementaire plus favorable à l'innovation
Les émetteurs de stablecoins doivent souvent choisir la juridiction qui correspond le mieux à leur modèle commercial et à leur stratégie de croissance tout en tenant compte des coûts et des complexités associées à chaque régulateur.
Tandis que le FinCEN représente le minimum légal nécessaire pour opérer aux États-Unis, la NYDFS est la plus difficile à obtenir et la plus exigeante en termes de réserves, de sécurité, et de protection des consommateurs. On peut catégorisé la BMA comme rigoureuse mais perçue comme plus flexible que la NYDFS
Quant au choix du pays d’incorporation, ceci dépend de divers facteurs notamment les exigences réglementaires, les coûts, la protection des consommateurs et l'environnement juridique
Les BVI offrent un cadre réglementaire plus flexible pour les émetteurs de stablecoins, en imposant des exigences de conformité et de transparence moins strictes que les juridictions comme les Bermudes ou New York. Ce cadre attrayant est idéal pour minimiser les coûts au détriment de la crédibilité, de la transparence et de la protection des consommateurs
En comparaison, les Bermudes et les États-Unis (notamment New York) imposent des régulations plus strictes. Ils exigent des garanties solides pour la solvabilité et la protection des consommateurs. Ce niveau de régulation est souvent préféré par les entreprises cherchant à établir une crédibilité accrue sur le marché mondial, malgré des coûts de conformité élevés.
Les auditeurs jouent un rôle crucial dans l'écosystème des stablecoins en garantissant la transparence financière, la conformité réglementaire, et la confiance des utilisateurs. Parmi les principaux cabinets d'audit impliqués dans ce secteur, Deloitte se distingue comme leader, bénéficiant de son statut de "Big Four" avec une expertise mondiale en services financiers.
Au-delà de Deloitte, d'autres cabinets d'audit, tels que WithumSmith+Brown, BDO Italia, BPM LLP, et The Network Firm, jouent également des rôles importants dans ce secteur. Ces cabinets, tout en étant moins vastes que Deloitte, fournissent des services adaptés aux différentes tailles et structures des entreprises opérant dans l'espace des stablecoins.
Les émetteurs qui choisissent de se réguler auprès de la NYDFS ou de la BMA sont tenus de réaliser des audits réguliers par des tiers indépendants. Par ailleurs, des entreprises comme Tether et Circle ont opté pour une publication plus fréquente de l'état de leurs réserves, non seulement pour se conformer aux exigences de la FinCEN, mais aussi pour ajouter une couche supplémentaire de crédibilité.
Il est essentiel que les sociétés émettrices de stablecoins disposent de comptes ségrégués pour garantir que les fonds des utilisateurs sont séparés des actifs de l'entreprise, assurant ainsi leur protection en cas de problèmes financiers. De plus, être "bankruptcy remote" signifie que les actifs liés aux stablecoins sont protégés contre les créanciers si l'entreprise fait faillite, ce qui assure la stabilité et la confiance dans le stablecoin en empêchant l'utilisation de ces fonds pour régler les dettes de l'entreprise. Ces mesures sont cruciales pour maintenir la sécurité et la confiance des utilisateurs.
Il est surprenant que l'USDT de Tether domine toujours le marché des stablecoins, malgré des critiques sur sa transparence et ses pratiques financières. Contrairement à des émetteurs régulés par des autorités comme la NYDFS ou la BMA, qui imposent des exigences strictes de ségrégation des fonds et de structures "bankruptcy remote" pour protéger les utilisateurs, Tether opère sous le cadre plus léger de la FinCEN. Son absence de garanties comparables soulève des questions sur sa stabilité, mais sa liquidité élevée et son adoption massive continuent de lui assurer une position dominante, malgré les doutes persistants.
L'intégration dans l'écosystème DeFi est cruciale pour les investisseurs cherchant à tirer parti des opportunités de rendement offertes par les divers protocoles. Ce volet inclus ;
Le nombre d’écosystèmes couvert ainsi que le nombre d’intégrations du stablecoin dans les protocoles DEFi
L’efficacité de la liquidité, qui est primordiale d’un point de vu expérience utilisateur
L'intégration d'un stablecoin dans différents blockchains (écosystèmes) permet de rendre la DeFi plus accessible à moindre coût.
Bien que le nombre d'écosystèmes couverts soit une donnée intéressante à suivre, il est essentiel que les cas d’usage soient pertinents et que la liquidité soit suffisamment profonde. Il est également crucial de s'assurer que les blockchains soient interconnectées via des bridges canoniques (natifs), qui sont plus sécurisés que les non-canoniques (comme Orbiter, Synapse, etc.), bien que ces derniers offrent une rapidité inégalée.
Sur ce sujet, l’USDC a un coup énorme d’avance grâce au CCTP (cross chain transfer protocol), établi avec Chainlink, couvrant à ce jour Arbitrum, Avalanche, Base, Ethereum, Noble, OP Mainnet, Polygon PoS et Solana. Lancé en Septembre 2022, il facilite le transfert de l'USDC natif à travers les réseaux grâce à une méthode de pontage « burn and mint », plutôt que la méthode traditionnelle « lock and mint ». Pour utiliser CCTP, les utilisateurs transfèrent l'USDC natif sur un réseau source pris en charge pour le burn - en contrepartie, un équivalent le montant de l'USDC natif est mint sur un réseau de destination pris en charge et envoyé au bénéficiaire spécifié par l'utilisateur adresse du portefeuille.
Grâce à leur TVL et à leur ancienneté, l’USDC, l’USDT et le DAI bénéficient d’une forte composabilité dans la DeFi, ce qui facilite la création de stratégies créatives et évolutives. Il sera intéressant de suivre quels autres stablecoins réussiront à rendre leurs actifs aussi utilisables.
La croissance d’un stablecoin doit être avant tout soutenue par sa liquidité on-chain. Plus cette liquidité est importante, plus il devient "facile" de créer des marchés de prêts et d'emprunts tout en garantissant la solvabilité. Créer un marché d'emprunt pour un actif peut sembler simple, mais il est crucial que des incitations à la liquidation soient présentes pour assurer la stabilité.
Sur cette lancée, examinons l’efficacité de la liquidité de ces actifs
L’USDC et l’USDT sont utilisés comme références dans ces simulations, où les swaps vers ces actifs servent à calculer l'impact sur le prix. La colonne "Limite de slippage -0,20%" indique le montant en dollars pour lequel le swap subit un slippage de -0,20% (seuil fixé pour ces simulations). Pour normaliser l’efficacité de la liquidité, nous calculons le ratio de ce seuil par rapport à la capitalisation (TVL) de chaque stablecoin.
L’USDM montre une efficacité bien supérieure à celle de ses concurrents, notamment face au PYUSD, qui semble négliger la liquidité du marché secondaire. On constate également que le DAI bénéficie d'un bon ratio, en grande partie grâce à la diversité des DEXs disposant de pools DAI.
Bien que les "Big 3" continuent de dominer grâce à cette diversité et à leur robustesse dans la DeFi, de nouveaux actifs comme l’USDM (et d’autres mentionnés dans le deuxième article sur les stablecoins) semblent jouer habilement leurs cartes pour accroître leur adoption.
Proposer un stablecoin attrayant pour les utilisateurs de la DeFi est un défi majeur auquel sont confrontés les nouveaux émetteurs. Les rendements alléchants offerts par les T-Bills permettent de créer un modèle économique très rentable dès le lancement du produit, mais tout dépend de la capacité à attirer des capitaux.
La clé réside dans l'intégration des utilisateurs dans la flywheel : comment inciter ces derniers à délaisser les rendements natifs, comme ceux des T-Bills ou d’autres produits sous-jacents ? L’USDC est un exemple parfait à cet égard. Lorsqu’un stablecoin est profondément intégré dans la DeFi, avec une liquidité importante et une rédemption facile, les utilisateurs peuvent facilement trouver des rendements supérieurs à 5% en DeFi, par exemple avec le lending sur Aave, qui offre souvent plus de 6%. Ainsi, les utilisateurs oublient le rendement natif du stablecoin, qui revient entièrement à l’émetteur, en échange d’un produit robuste et régulé, avec lequel il est facile de mettre en place des stratégies rentables. Comme l’a démontré Pendle avec les YT_farmeurs_de_points VS les PT_rendement_fixe, les "degens" délaissent le rendement natif du principal dans l’espoir de créer un rendement supérieur en DeFi, ce qui satisfait les deux parties.
Bien que cela semble plus simple pour des stablecoins établis tels que l’USDT, l’USDC et le DAI, cela s’avère complexe pour les nouveaux entrants. Ethena, par exemple, propose un produit nativement très rentable avec un modèle bien plus exotique, tandis qu’Usual fonde solidement son stablecoin collatéralisé par des T-Bills, en intégrant une "flywheel" de type ve-model.
Pensez-vous que cela soit injuste ? Nous observons l’émergence d’une nouvelle classe de stablecoins, comme l’USDY et l’USDM, qui intègrent directement le rendement des T-Bills dans le token détenu par l’utilisateur, en suivant un modèle de rebase et/ou reward-bearing pour une meilleure intégration dans la DeFi. Mountain Protocol réalise un travail remarquable en créant d'abord une liquidité on-chain efficace, avant d'intégrer le wUSDM dans des protocoles de yield comme Beefy et des plateformes de lending/looping comme Dolomite. Ses fondamentaux comptent parmi les plus solides du marché, il n’est donc qu’une question de temps avant que sa TVL ne croisse.
PayPal a opté pour une approche différente, plus agressive, en se déployant sur Solana avec des incitations colossales pour le lending sur Kamino. Bien que les détails sur l’origine de ces 1,2 million de dollars d'incitations hebdomadaires soient flous, il semble qu'ils utilisent une partie de leurs réserves ou de leurs rendements natifs pour initier la flywheel ; une solution plus coûteuse et moins durable que celle de l’USDM.
Chez Redacted Labs, nos stratégies reposent sur des due diligences approfondies de chaque actif et protocole que nous utilisons. Cette série d'articles n'est qu'un aperçu de nos travaux de recherche, vous offrant les informations essentielles ainsi que la démarche à suivre pour que vous, utilisateur de la DeFi, puissiez analyser les risques et les opportunités associés aux stablecoins. Une veille minutieuse et rigoureuse doit être maintenue, car tant les fondamentaux que les métriques on-chain peuvent évoluer rapidement
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À Propos de Redacted Labs :
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