Le Chemin d'Aragon

Aragon vient d'annoncer la mise à disposition sa toute nouvelle version 0.8, surnommée "Camino". Le "Camino aragonés" (ou "Chemin aragonais") est une section du chemin de pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle qui part du Col du Somport, à la frontière française. Une occasion en or pour faire le point en français sur le plus important projet actuel portant sur les DAOs.

La vision: le combat pour la liberté

En 2016, Luis Cuende et Jorge Izquierdo démarrent le projet Aragon, dont le but est de permettre de créer une entreprise ou tout type d'organisation sur Ethereum.

Que signifie "créer une entreprise sur Ethereum", et à quoi cela serait-il utile ? Comme l'expliquent Luis et Jorge dans l'une de leurs premières communications publiques, le but est à la fois économique et politique.

Economique, car les organisations du futur, ou DAOs (organisations autonomes décentralisées) peuvent réduire coûts de transaction et charges administratives en fonctionnant sans frontières ni intermédiaires. Ces caractéristiques rendront les entreprises opérant avec Aragon plus compétitives que les firmes traditionnelles.

Politique, car de telles organisations seront autonomes, inclusives, impossibles à censurer, hors d'emprise de l'Etat perçu au pire comme corrompu et liberticide, au mieux comme déconnecté des véritables besoins des individus.

Ces deux visions se conjuguent depuis l'origine d'Aragon, associant un idéal d'efficacité ultime, où le déploiement d'une organisation est l'affaire de quelques clics, à celui de l'essor d'un nouveau type d'organisation opérant dans un espace sans autres contraintes que celles qu'elle se choisit librement.

Ces deux objectifs sont intimement liés, car l'inefficacité économique procède, selon Luis et Jorge, des entraves instituées par le pouvoir politique : taxes, réglementations, banques, notaires, avocats...

On peut ainsi voir dans la création d'Aragon la suite logique de la Déclaration d'Indépendance du Cyberspace de John Perry Barlow, proclamée 20 ans auparavant. L'espoir de liberté apparu aux premiers temps de l'internet n'a pas survécu à la prise de contrôle des réseaux par les géants du web et par les Etats. Il fallait plus que des proclamations lyriques pour lui donner corps. L'espoir est ranimé à l'occasion de la création d'Ethereum, infrastructure numérique publique et décentralisée.

Aragon a pour ambition d'accomplir ce programme en s'appuyant sur Ethereum pour créer des organisations programmables, configurables selon les besoins et la volonté de leurs membres, et résistantes à toute tentative de saisie de la part des puissants de ce monde.

Le narratif du combat pour la liberté caractérise ainsi le projet Aragon depuis sa conception. Le nom même du projet est une référence à la période anarchiste de la région d'Aragon en Espagne, entre 1936 et 1939, lors de laquelle la gestion des affaires politiques et économiques a été soustraite à l'influence de l'Eglise comme à celle de l'Etat.

Ce narratif est nourri en permanence par les promoteurs du projet, comme on peut le voir notamment dans sa video promotionnelle, dans son Manifesto, ou dans les articles du blog Aragon Black.

Le programme étant posé, comment le réaliser ? Aragon s'appuie sur l'infrastructure décentralisée Ethereum, elle-même conçue pour résister à toute tentative de prise de contrôle externe et garantir un libre accès à tout individu. Que doit y ajouter Aragon pour tenir sa promesse d'émancipation des organisations humaines ?

Aragon OS : la machine-DAO

La première brique posée par Aragon a été comparée à un système d'exploitation pour les DAOs.

Le système d'exploitation (OS, ou "operating system"), comme Windows ou Linux, est le logiciel de base d'un ordinateur, permettant aux applications de fonctionner et d'accéder à ses ressources matérielles, de gérer les permissions des utilisateurs et de sécuriser l'ensemble du système.

D'une façon similaire, Aragon offre un ensemble de services permettant :

  • d'associer de multiples applications à chaque DAO, à l'instar des apps installées sur un smartphone à partir d'un catalogue

  • d'intégrer ces applications dans une interface visuelle cohérente afin de faciliter l'apprentissage et réduire le risque d'erreur des utilisateurs

  • de constituer des ressources communes à chaque DAO, telles que les identités des participants ou les tokens représentant les actifs de la DAO, et de les rendre accessibles aux applications autorisées

  • de compartimenter ces applications afin de protéger la sécurité de la plateforme, tout en organisant leur interopérabilité via un système de droits inter-applications

  • d'autoriser la mise à jour des applications, aspect particulièrement sensible et épineux dans le contexte d'un réseau décentralisé fonctionnant sans contrôle d'un opérateur central

  • de simplifier et de sécuriser les interactions inter-DAOs en représentant chaque DAO par un agent capable d'effectuer et de répondre à des requêtes en son nom

AragonOS, initié dès le début du projet et activement développé depuis lors, est une pièce maitresse de la stratégie d'Aragon. Jouer le rôle de système d'exploitation pour DAOs présente en effet deux bénéfices essentiels.

D'une part, la disponibilité des services de base permet de créer une nouvelle DAO instantanément et de ne développer que la logique qui lui est spécifique, d'où un gain de temps et de coût.

D'autre part, ces mêmes services de base rendent également plus rapide et moins coûteuse la création d'applications destinées à de multiples DAOs, à partir du moment où celles-ci sont basées sur Aragon. Il s'agit d'une stratégie de plateforme pariant sur l'effet réseau :

  • les développeurs tirent parti des services de base et de l'interopérabilité (entre applications et entre DAOs) pour enrichir le catalogue applicatif d'Aragon,

  • de nouveaux utilisateurs sont attirés par la disponibilité d'applications adaptées à leurs besoins,

  • l'augmentation du nombre d'utilisateurs offre de nouveaux débouchés aux développeurs d'applications, qui sont d'autant plus enclins à investir sur Aragon.

La réussite de cette stratégie dépend évidemment de l'attrait des développeurs pour Aragon. C'est pourquoi de nombreux outils destinés aux développeurs rassemblés dans un SDK (Software Development Kit) complètent le coeur du logiciel : un package manager pour déployer du code de façon décentralisée, une couche d'API pour accéder aux données des smart contracts, une librairie de composants d'interface graphique, une interface en ligne de commande, un portail pour les développeurs, etc.


Ce texte est le premier volet de notre série sur Aragon, proposée à l'occasion de la sortie de la version 0.8 appelée Camino et publié à l’origine sur orgtech. La deuxième partie aborde Aragon en tant que réseau décentralisé co-géré par ses membres – individus et organisations. Le dernier volet introduit l'organisation même du projet et débat de ses cas d'usage.

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